La BD « Le dernier livre » : une déclaration d’amour à la littérature et à la transmission des savoirs et connaissances
La bande dessinée a très souvent mis en avant la littérature par le biais de ses planches et ses bulles pour rendre hommage à ce qui est la mère de toute civilisation, en tout cas l’une des avancées importantes de l’Histoire de l’humanité : l’écriture.
Ainsi de grandes œuvres littéraires sont passées du 5e au 9e art, des classiques de Zola, Victor Hugo, Stendhal et plus récemment la collection en bande dessinée des livres de Marcel Pagnol.
L’écriture a joué un rôle essentiel dans la transmission des savoirs et des connaissances mais aussi dans la vie économique. Avant son existence tout se dérouler par la voie orale. Même si de nos jours certaines choses se font encore en parlant, acheter une baguette de pain par exemple, qui est une forme de contrat synallagmatique (un contrat est synallagmatique lorsque les deux parties s’engagent à réaliser des prestations l’une envers l’autre : l’un à fournir le pain, l’autre à le payer).
Pourtant depuis le début des années 2000, le livre est passé sous la forme du numérique par le biais de liseuses ou tablettes, il est ainsi plus aisé de s’approprier rapidement un livre. Néanmoins il manque une chose essentielle, le plaisir de tourner les pages, de les voir s’envoler dans le vent, de sentir l’odeur du vieux papier… Bref, le plaisir de lire tout simplement.
La bande dessinée n’est pas en reste d’ailleurs puisqu’elle aussi a franchi ce cap. Mais les couleurs sont fades sur écran même s’il est de très bonne qualité, et n’oublions pas une chose les conseils des libraires qui lors d’un achat sont importants, voire primordiaux au lieu d’un : « Bonjour, je suis le robot d’…, en quoi puis-je vous aider ? ».
Les robots justement et les GAFA (Google Apple Facebook Amazon) qui collectent vos données personnelles afin de mieux vous conseiller, de vous apporter des offres spéciales et personnalisées sont au centre de cette bande dessinée.
François Durpaire, le scénariste et Brice Bingono, le dessinateur, nous transportent dans un thriller d’anticipation réaliste.
Derrière l’histoire du livre, il y a celle du premier
Paris, 2050. Une pandémie mondiale a conduit à la fermeture des librairies, des écoles et des bibliothèques. Les géants de l’industrie numérique ont digitalisé le savoir. Avec la complicité des dirigeants politiques qui ont compris les enjeux de pouvoirs liés aux nouvelles technologies, ils ont mis fin à la production du papier avant de l’interdire.
Les informations nous parviennent sur les écrans ou s’implantent instantanément sur nos rétines et l’école se fait à la maison en compagnie d’androïdes programmés conformément aux principes de cette nouvelle société.
Mais au cœur de ce monde lisse et aseptisé, un mystère éclôt. De nombreux enfants disparaissent sans laisser aucune trace. Derrière ces enlèvements : un groupe de résistants qui entend redonner à la prochaine génération la curiosité et l’esprit critique que la société leur a retirés.
Mais leur plan est découvert. La bibliothèque clandestine où ils se cachaient est brûlée et les livres qu’elle contenait également…
Un groupe d’enfants parvient à s’échapper du massacre. Ensemble, ils se donnent une mission : écrire un nouveau « premier livre ».
Une lettre d’amour en bande dessinée
Le Dernier livre s’apparente à une lettre d’amour au support papier et offre, en parallèle de son enquête, une réflexion sur l’histoire du livre. Soutenu par des couleurs sombres de Brice Bingono, François Durpaire construit un ouvrage pertinent qui pousse à s’interroger sur le rôle essentiel de la littérature dans la construction de l’humanité.
En plus de cela, il jette un regard très critique sous toutes formes de dictatures sociales. Le livre étant le dernier refuge pour s’évader et s’émanciper, dans Le Dernier livre, une censure implacable interdit ceux qui peuvent pervertir les enfants (Rhinocéros de Ionesco, un classique enseigné encore dans les lycées et que j’ai moi-même étudié adolescent, Les raisins de la colère de John Steinbeck…).
Contrôler le savoir c’est contrôler le pouvoir
Cette prise de position du scénariste n’est pas anodine. François Durpaire est également un historien et un écrivain. Il s’attache notamment à considérer les questions de bien-être et de diversité culturelle aux États-Unis. Il est aussi l’auteur d’une thèse sur « le rôle des États-Unis dans la décolonisation de l’Afrique noire francophone (1945-1962) ».
Il est membre du Comité pour la mémoire et l’histoire de l’esclavage et s’engage dans « l’Appel pour une République multiculturelle et postracial » qui cherche à mettre en avant des valeurs pluricitoyennes et multiculturelles, en résumé c’est un citoyen du monde.
La pandémie comme un révélateur du pouvoir central sur les citoyens
Le Dernier livre sert également à régler des comptes avec les pouvoirs existants dans le monde et la façon dont ils ont géré la pandémie du Covid-19. C’est une œuvre certes d’anticipation mais également une critique sur la société en règle générale, des élites jusqu’aux moutons de Panurge, prêt à se livrer corps et âme dans ce qui leur est proposé c’est-à-dire l’anéantissement de toute forme d’esprit critique.
Une fois de plus, ce sont les garants de la transmission des savoirs, les bibliothécaires et les enseignants qui vont se rebeller et chercher à sortir de cette emprise menée par, dans l’histoire, Monsieur Z., le fondateur de Fatalbook qui est devenu Président des États-Unis.
Pour conclure, ce livre ouvre plusieurs portes de réflexion à la fois sur l’importance de la transmission des savoirs et des connaissances, une critique de la société actuelle robotisée et étant incapable de réfléchir par soi-même et enfin sur le monde que nous souhaitons transmettre à nos enfants. Je terminerai donc cette chronique, d’une bande dessinée que j’ai aimée du début jusqu’à la fin par trois citations d’écrivains célèbres, une émanant de la BD et deux autres qui collent parfaitement à l’esprit du livre.
« Un homme, un jour, lira. Et puis tout recommencera » Marguerite Duras
« Il faut cultiver son jardin » Voltaire
« Nous n’héritons pas de la terre de nos ancêtres, nous l’empruntons à nos enfants » Antoine de Saint-Exupéry
La bande dessinée « Le Dernier livre » est disponible depuis le 24 novembre 2021 et est éditée par les éditions Glénat et comprend 72 pages.
Merci pour cette belle découverte BD🥰