La BD “Chen – Les enfants perdus” : les liens du sang sont inaltérables
La Chine a toujours fasciné le monde occidental. De par son Histoire, sa culture, ses croyances, sa politique si particulière, elle se démarque de tous les autres pays du monde. Autrefois la risée du monde, elle est devenue en très peu de temps l’une des plus grandes puissances mondiales. Elle le doit entre autres à un contrôle de sa démographie avec la politique de l’enfant unique instaurée par Deng Xiaoping qui a permis d’endiguer la flambée des naissances et faire en sorte que le pays puisse enclencher sa dynamique économique. Certes cette politique est contre nature et peut choquer aux yeux des personnes étrangères au pays. Certes la Chine n’est pas un modèle dans grand nombre de domaines. Les scénaristes Aurélien Ducoudray et Antoine Dodé ont choisi cette thématique pour lancer une réflexion sociétale sur cette décision qui, si elle est mal contrôlée, peut engendrer des dérives humaines.
Chine, 2089. La politique chinoise de l’enfant unique a eu des conséquences catastrophiques : les femmes ne représentent dorénavant plus qu’un pourcentage inférieur à 1 % de la population. Devenues marchandises inestimables, elles sont la proie de milices clandestines qui organisent des rapts sur l’ensemble du territoire. Piao, la sœur de Chen, est l’une des nombreuses victimes de ces expéditions. Chen assiste impuissant à l’enlèvement de sa petite sœur et garde de cet événement une colère vive qui ne demande qu’à être consumée. C’est le début d’une enquête à couteaux tirés, brutale et fulgurante, la course désespérée d’un homme qui n’a plus rien à perdre.
Une fiction sombre qui donne à réfléchir sur plusieurs aspects de notre société
Disons le clairement, cette bande dessinée n’est pas à mettre entre toutes les mains. Pour résumer, âme sensible, s’abstenir. Une fois retiré cet aspect sombre et violent, reste une histoire triste mais qui aborde plusieurs sujets de société : le contrôle d’une nation sur la fécondité, les dérives de celui-ci, la traite des femmes, le féminisme poussé à l’extrême et l’amour fraternel.
La réelle volonté des auteurs est donc de faire réfléchir le lecteur à travers une histoire de fiction mais qui pourrait sur certains aspects se rapprocher de la réalité, pour mieux nous sensibiliser aux conséquences de décisions prises au niveau gouvernemental. D’ailleurs l’histoire se déroule en Chine puisque la politique de l’enfant unique a été instaurée dans ce pays, mais très souvent ils font référence à des décisions similaires prises en Europe.
La transposition, voire la mondialisation est donc également un thème sous-jacent, car il n’y a quasiment plus de frontières entre l’Orient et l’Occident. Un autre thème qui est abordé de manière indirecte est la prostitution de jeunes hommes déguisés en femme pour “divertir” l’étranger. Les auteurs font bien évidemment référence à ce qui se passe dans les pays asiatiques tels que la Thaïlande.
Une introduction en forme d’avertissement
Ce qui marque les esprits au début de la lecture de cette bande dessinée c’est sa contextualisation. S’entremêlent des vignettes entre d’une part le passé et ce qui sera la fiction et d’autre part des vignettes vantant les vertus de la Chine tel un guide touristique. Cette entrée en matière est peu commune et n’a que pour seul but de démontrer que derrière des aspects attirants, un pays peut cacher une vérité plus sombre. On peut très bien imaginer que les auteurs font référence à d’autres pays contemporains tels que les États-Unis ou l’Inde.
Une bande dessinée conçue comme un film
Outre l’introduction, le reste de la bande dessinée est découpé en quatre chapitres, tous différents les uns des autres et amenant le lecteur à chaque fois vers une thématique différente. Dans sa construction, j’imagine fort bien cette histoire adaptée au cinéma parce que les évènements s’enchaînent parfaitement et il est difficile de deviner la fin ce qui est plutôt rare dans un album de fiction.
Le scénario entraîne donc le lecteur dans un ascenseur émotionnel dans lequel se croisent toutes les facettes de l’humanité : l’amour, la vengeance, la trahison, la fraternité et bien d’autres.
Un graphisme simplifié à l’extrême où l’importance des couleurs prend le dessus
Très souvent, même trop souvent à mon goût le métier de coloriste n’est pas mis en avant sur une bande dessinée, servant la plupart du temps à encrer l’histoire dans une réalité. Certaines mêmes s’en passent et je pense évidemment à la série Les Bidochon de Binet.
Dans Chen – Les enfants perdus c’est le phénomène inverse. Les couleurs reflètent parfaitement les émotions des personnages, leurs actions et les lieux dans lesquels ils se trouvent. Les dessins sont simplifiés à l’extrême et ne sont faits en réalité que pour montrer une action en particulier. Aucun paysage en arrière-plan ou aucun dessin non essentiel y est représenté.
Le seul petit bémol, se situe dans la police des caractères utilisée dans les bulles qui parfois sont difficiles à lire et avec des noms de personnages ou d’endroits à consonance chinoise, cela force le lecteur à se concentrer sur ce qui est indiqué au lieu de voir la vignette comme un tout, l’équilibre parfait entre les bulles, les dessins et la couleur.
En conclusion, Chen – Les enfants perdus, n’est donc pas à mettre entre toutes les mains, mais les lecteurs qui souhaitent se lancer dans cette aventure ne seront pas déçus et une fois la bande dessinée terminée, continueront à l’analyser sous tous ses aspects tant les sujets abordés sont nombreux.
Chen – Les enfants perdus est disponible aux éditions Glénat et comporte 208 pages dont un cahier graphique à la fin de l’album.