Le Vaisseau 3008 à Nîmes : l’empreinte du temps
Sénèque disait que « seul le temps nous appartient ». L’équipage du « Vaisseau 3008 » a réussi à embarquer sur son navire éphémère cet « instant de vie ». Une alchimie réussie entre le ponctuel et la durée. Cette perpétuelle répétition rassemble dans un même lieu des artistes, des artisans, des enfants, des adultes, des professionnels, des bénévoles, des réfugiés, une brasserie, du théâtre, de la restauration, de la musique, des concerts, un vide-dressing, des paniers bio, et… « 4 mois de programmation artistique et culturelle placée sous le signe de la bonne humeur, de la rencontre, de la diversité et de la bamboche ! ».
« Mais qu’est-ce que signifie “éphémère” ? Ça signifie “qui est menacé de disparition prochaine” » Le Petit Prince. C’est au 9 rue de l’hôtel dieu à Nîmes dans un bâtiment voué à un projet immobilier à la fin de cette année qu’une aventure humaine se déroule depuis le premier confinement. L’éphémère marque, inscrit une empreinte. Que restera-il quand le bâtiment sera vidé de toute cette vie ? Est-ce que ce sera le souvenir d’une chanson populaire écoutée de temps à autre évoquant des souvenirs diffus, des instants magiques, puis tombe dans la désuétude ? Ou alors garderons-nous ce Vaisseau en mémoire comme une grande musique classique dont la présence est encore prégnante durant plusieurs époques ?
La création du « Vaisseau 3008 » est indissociable du bouleversement sanitaire qui semble perdurer comme dans un présent éternel. Très soucieux des règles sanitaires appliquées tant aux résidents qu’aux visiteurs, l’esprit du Vaisseau fait vivre ce présent avec des étincelles dans les yeux et célèbre la vie comme le disait Horace. « Avançons avec ces étincelles dans les yeux, laissons de côté les mièvres repères qui nous freinent et nous empêchent de célébrer l’hymne à la joie. »
L’aspect économique et la liberté
Morad Berreda et Louna Laurent qui assurent le bon déroulement de la navigation de ce navire sur cet océan temporel gèrent la quelque centaine de matelots répartis sur les deux étages de ce bâtiment coloré. « Le Vaisseau permet de s’installer pour un prix de 6 euros le mètre carré, toutes charges comprises, si le prix du mètre carré avait été de 8 à 10 euros, on n’aurait certainement pas attiré les mêmes profils, et certainement pas autant de personnes ». Dans un contexte de crise d’une part et le prix des locations commerciales pratiquées sur le territoire nîmois, bon nombre de personnes aux projets latents ont tenté l’embarquement d’une croisière quelque peu spéciale. « Du fait que le bâtiment va être démoli chacun a la liberté de peindre, de trouer, d’abattre des murs, d’agrandir son espace, il n’y a pas de caution relative à restituer le local dans l’état où ils l’ont reçu ».

La philosophie du vaisseau
L’aspect économique est certes très important. Expérimenter, créer, une activité, un projet avec un coût peu important aide forcément à se lancer dans l’aventure. Cependant Morad et Louna ont pu constater que le concept du vaisseau « a permis aussi à des personnes de mettre en œuvre un deuxième travail tout en conservant celui déjà exercé avec l’espoir de pouvoir évoluer dans un métier, une activité dans laquelle ils prendraient plus de plaisir et qui leur correspondrait mieux ».
La philosophie du vaisseau est de « mettre en œuvre des évènements collectifs, d’inciter les occupants à se rencontrer et à réfléchir sur la transformation et l’évolution de ce lieu, à être ensemble dans des activités, des professions, des projets différents, tout ce qui fait la richesse de la rencontre ».
Des collaborations sont ainsi nées entre un tapissier et un concepteur de meubles et entre un sérigraphe et un illustrateur. « La proximité d’acteurs économiques crée ce genre d’émulation. L’ouverture que donne le Vaisseau par rapport à d’autres pratiques ou d’autres approches procure des ouvertures et des process auxquels on n’aurait pas à priori pensé. Ouvrir son champ créatif aux autres, changer sa manière d’acheter, découvrir de nouvelles techniques », autant d’apports et de liens que ce lieu permet de tisser. Déjà au XVIIIè siècle Adam Smith, philosophe et économiste écossais disait : « Donnez-moi ce dont j’ai besoin et je vous donnerai ce dont vous avez besoin vous-même » faisant ainsi de l’activité économique le vecteur fondamental du lien social.
Le Vaisseau a permis avec l’association accompagnant des jeunes relevant de l’aide sociale à l’enfance et atteignant leur majorité de mettre en avant leurs compétences et leurs savoir-faire grâce aux contacts créés avec les locataires du Vaisseau. L’occasion pour ces jeunes d’échanger sur leurs passions, de les aider à concrétiser leurs projets et de leur donner des perspectives d’ouverture.
Quelle opportunité pour l’économie éphémère ?
Le Vaisseau est en train de contribuer à l’instauration d’une nouvelle ambiance urbaine au cœur même du centre-ville de Nîmes. Proche du cinéma le Sémaphore, du musée de la Romanité, de la Placette, il permet d’accueillir des animations et des propositions citoyennes et commerciales, de proposer des micro-projets, et en quelque sorte de participer à une certaine hospitalité du territoire.
Pendant le confinement « ici, dans cet espace, nous dit Louna, la vie a continué et a permis aux gens de ne pas sombrer, les rencontres se sont poursuivies dans le respect des règles sanitaires, et avec espoir ». Espoir de pouvoir concrétiser son projet tout en surmontant une crise sanitaire qui n’en finit pas de ressurgir.
Les deux permanents du Vaisseau restent à l’affût de nouveaux bâtiments qui pourraient permettre de poursuivre cette aventure éphémère. Le bâtiment de la chambre de commerce, les abattoirs du marché gare sont des perspectives de nouveaux lieux éphémères, mais à plus long terme. « Pour les propriétaires des bâtiments, c’est gagnant-gagnant, cela leur permet d’avoir un gardiennage empêchant des dégradations ou des occupations sauvages grâce à la présence de locataires ».
L’éphémère, un effet maire ?
Des municipalités font le choix de prendre en compte ces démarches innovantes de sites utilisés dans un temps limité en y mêlant art, culture, économie, sport, santé, action sociale. Accélération d’activité économique, activation de lien social, revitalisation d’un territoire, d’un quartier, d’un centre-ville, l’impact du développement d’un espace tel que le Vaisseau est multiple et avéré. Les collectivités locales ont certainement un rôle à jouer et de là à penser que ce genre de lieu relève de l’intérêt général, il n’y a qu’un pas.
Merci!!