“Touche pas à mon professeur” : un livret sur la liberté d’expression conçu par un professeur d’Histoire-Géographie et avec ses soixante élèves

L’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020 a été une déflagration dans le monde de l’éducation. Spontanément le lendemain des enseignants, des parents, des citoyens de tous horizons se sont rassemblés pour rendre hommage à l’enseignant qui venait de perdre la vie. De cette expérience traumatisante, Gilles Roumieux, Professeur d’histoire-géographie au collège Jean Racine d’Alès a souhaité faire intervenir ses élèves sur leur ressenti face à ce drame. Sous la forme de libre expression, ils ont pu exposer leur émotion mais aussi ce que pour eux signifiaient la liberté d’expression et les valeurs de la République. De cette collecte, les élèves et leur enseignant en ont conçu un recueil de 54 pages. Certains textes ont été extraits et exposés à la médiathèque Alphonse Daudet d’Alès, et cette exposition pourrait se retrouver au centre mondial de la paix à Verdun. Enfin, les élèves finiront (si les conditions sanitaires le permettent) ce projet par une visite de l’Assemblée nationale. Entretien avec Gilles Roumieux, concepteur du livret, « Touche pas à mon professeur ».

 

L’assassinat de Samuel Paty 

Dès le lendemain du drame, je me suis rendu à la sous-préfecture à Alès, et j’ai été interrogé par Midi Libre sur ce que je comptais faire. Je leur ai répondu que je voulais connaître l’avis des élèves car quand on attaque un professeur, c’est une personne avec laquelle ils sont toute la journée.

Quand nous sommes revenus après les quinze jours de vacances, il y a eu l’hommage. J’avoue qu’il a été très poignant, très émouvant et notamment le discours de la directrice Madame Laurence Noel. À la fin de cet hommage, l’ambiance était très lourde, pesante. Durant les vacances nous nous étions concertés et avions décidé de prendre deux heures pour discuter sur ce qu’étaient la liberté d’expression et les valeurs de la République.

Puis à la fin de la semaine, j’ai demandé à mes élèves s’ils étaient favorables pour s’exprimer car il y avait beaucoup d’adultes qui s’exprimaient, mais je trouvais qu’on ne donnait pas assez la parole aux jeunes, et je leur ai proposé qu’ils s’expriment et qu’on relaie leur parole.

J’ai attendu quatre cinq jours, le temps que l’émotion retombe.

Je leur ai donné une feuille blanche, et demander de s’exprimer librement tout en en leur donnant un canevas par le biais de quatre questions et pistes de réflexions.

Au départ, j’avais imaginé leur faire déposer leur production dans une urne, car l’attaque d’un professeur, c’est l’attaque de la République, de la démocratie.

Mais j’ai souhaité recentrer sur notre fonction donc je les ai prévenus au dernier moment que j’allais laisser mon cartable ouvert et qu’ils allaient laisser leurs productions dans le cartable.

Quand ils les ont déposés je leur ai dit : « Ce que vous êtes en train de déposer ce sont des trésors. »

Une fois les productions données, je ne me suis pas pressé, j’ai voulu prendre un peu de recul.

 

Le petit Gardois : Combien de temps avez-vous mis pour réaliser le livret ?

Gilles Roumieux : Cela a mis deux mois à mon rythme. J’ai mis les textes sans classement.

Le week-end, je prenais une dizaine de feuilles, je surlignais ce qui me semblait le plus touchant, le plus poignant, le plus pertinent. Une fois cette phase terminée, j’ai retranscrit ce qu’ils avaient écrit, et même si j’ai « réécrit certains passages », car certains élèves lorsqu’ils passent à l’écrit sont moins à l’aise qu’à oral, je l’ai fait sans dénaturer le sens du message de mes élèves.

Je dois avouer que certains textes m’ont donné la chair de poule, tant il y avait de la profondeur et de la réflexion.

Restait un travail de taille, cette « matière importante », il y avait 58 textes, comment les restituer sous quelle forme, et sans que cela devienne rébarbatif à lire.

 

LPG : À quel moment, avez-vous décidé de mettre en page et de sortir ce recueil ?

G.R. : J’ai eu l’idée de suite de sortir une brochure, il fallait que cela soit diffusé sinon cela ne revêtait pas d’intérêt et en outre cela valorisait les enfants, les familles aussi.

5 000 brochures ont été éditées. 400 vont être achetées par l’État par le biais d’une association qui s’appelle voyages culturels, nous allons les mettre dans les TER, dans des boîtes aux livres.

Par ailleurs, le département va le diffuser dans tous les collèges du Gard. Parallèlement, nous avons envoyé un flyer à toutes les mairies du Gard, qui pourraient les offrir à des CM2 ou des collèges qui pourraient la remettre lors de la cérémonie du brevet par exemple ou en bien lors de la journée de citoyenneté.

Nous avons aussi eu l’idée de faire des petits papillons, qui seront des extraits de la brochure et que nous les glisserons dans les autres livres. C’est une idée à la fois humble et simple mais qui peut faire réfléchir les gens qui trouveront ces petits papillons. Le but est que tout le monde puisse prendre conscience.

Nous avons fait une exposition et nous aimerons qu’elle puisse aller dans la Meuse au centre mondial de la paix.

C’est un projet complet, puisque cela a commencé par une feuille blanche et cela si les conditions sanitaires le permettent se terminera par une visite à l’Assemblée nationale.

 

LPG : Qu’est-ce que vous a apporté ce travail collaboratif avec vos élèves ?

G.R. : On se construit ensemble, on s’élève mutuellement et ce moment-là, le citoyen en devenir et le citoyen que je suis se sont retrouvés pour faire émerger ce que nous sommes.

On lisait des petits extraits de ce qu’ils avaient écrit au tableau au début de chaque de cours pour qu’ils soient au courant de ce qu’avaient écrit leurs camarades pour que cela ait un sens, en même temps, je leur rappelais qu’en toutes circonstances il y a devoir d’exemplarité et de dignité, il faut savoir bien se comporter, une intelligence en état d’esprit sans exemplarité ou dignité vous abaissez votre intelligence. Si vous avez un comportement le plus digne possible, alors vous vous élevez, vous rayonnez, vous apportez aux autres.

Au-delà de la verticalité du système scolaire, j’y ai trouvé une horizontalité. Il y avait un grand moment de communion, nous ne faisions plus qu’un.

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