Balade dans le Gard : Rivarol, le sniper de Bagnols-sur-Cèze
Antoine de Rivarol (1753-1801), fils de Bagnols-sur-Cèze est un auteur connu pour sa belle plume, pour ses mots d’esprit, ses traits qui irritaient comme des piqûres de moustique. À cette époque faire rire de quelqu’un, c’était proprement l’assassiner.
Il était virtuose en matière de vacheries comme l’étaient, pour n’en citer que quelques-uns, Voltaire, Saint Simon, Clemenceau en France, ou Somerset Maugham, George Bernard Shaw et plus tard Churchill chez les Britanniques. Rivarol a aussi contribué, à sa manière à servir son pays. Des femmes et des hommes politiques d’aujourd’hui reprennent allègrement ces mots d’auteurs sans interagir quand les piques leur sont destinées de peur d’amplifier ces « méchancetés » au travers de Twitter et autres réseaux sociaux. On se souvient de Jacques Chirac en fin de mandat surnommant Nicolas Sarkozy et Cécilia « les Thénardier » et le prétendant au poste suprême ripostant en traitant « le monarque vieillissant » de « roi fainéant ». Aujourd’hui les politiques de premier plan préfèrent pour ne pas payer le prix fort déléguer leurs sous-fifres pour asséner leurs méchancetés.
Une répartie instantanée
Pour réussir à se faire connaître, et pour trouver du travail correspondant à son esprit et à sa plume, Rivarol [1] quitte le Gard en 1777. A Paris, [il] se fait appeler le comte de Rivarol, sans qu’on sache bien si ce titre est justifié : il réussit rapidement à se mêler aux milieux littéraires, à se faire connaître du vieux Voltaire (qui mourra peu après leur rencontre), de Buffon, de Diderot, de beaucoup d’autres auteurs alors célèbres. [2] »
La vie de ce causeur se dépensa surtout en saillies, il a été classé parmi ces paresseux de génie que l’on fête régulièrement. « La paresse n’est dans certains esprits que le dégoût de la vie ; dans d’autres c’en est le mépris » écrivait-il.
Dinant en ville une personne de ses connaissances l’aborde et lui dit « je vous écrirai demain sans faute ». La réponse de Rivarol n’attend pas : « Ne vous gênez pas, écrivez-moi comme à votre ordinaire ». Invité à déjeuner chez la princesse de Vaudémont avec l’abbé Sabatier, un mets fit hésiter l’ecclésiastique. C’était du saucisson d’âne. « Inutile d’insister, dit Rivarol, l’abbé n’en mangera pas ; il n’est pas anthropophage. » Ses boutades sont nombreuses, il est pince-sans-rire. Sur un joueur devenu courtisan, il dit : « il ne vole plus depuis qu’il rampe ». Invité dans un salon alors qu’un convive se vante de connaître quatre langues, il déclare : « je vous félicite, vous avez quatre mots contre une idée. »
À cette époque, une culture spécifique s’est constituée autour du rire. Le film de Patrice Leconte, Ridicule, dont le scénario s’inspire de recueils de bons mots du XVIIIe siècle, reconstitue bien ce qu’a pu être cet univers des élites où la virtuosité du rieur pouvait tuer aussi sûrement que l’épée.
La satire antirévolutionnaire d’un Rivarol
Royaliste déclaré dès le début de la Révolution, Rivarol dirige Le Journal politique national fondé par Antoine Sabatier de Castres. Cette feuille violente se positionne comme royaliste et contre révolutionnaire. Prétendant à l’impartialité de l’Histoire, elle ne présente pas d’informations, mais des commentaires sur des moments clés de l’actualité, avec un retard important. Rencontrant une vive hostilité, ses prises de position font de Rivarol un théoricien français de la contre-révolution, questionnant de manière tout à fait particulière les causes et véritables caractères de la Révolution. À la disparition du Journal politique national, Rivarol collabore avec le tout aussi violent Les Actes des apôtres qui déversait le ridicule sur les révolutionnaires. Dans ce registre, Rivarol est volontiers moqueur et incisif.
Un causeur recherché
Grâce à ses talents de journaliste, le succès de certains de ses articles dans Le Mercure de France [3], son ironie, son utilisation à bon escient d’un ton moqueur lui font intégrer les cercles huppés de l’aristocratie où l’on écoutait avec attention ce brillant causeur. Stendhal était de ceux qui l’appréciait particulièrement. Il le fait citer dans Le Rouge et le Noir par le marquis de la Mole, retenu à la chambre par la maladie : « Si j’avais Rivarol, ici, auprès de ma chaise longue, tous les jours il m’ôterait une heure de souffrance et d’ennui. [4] » Un jour alors que Rivarol assistait à un opéra, il remarqua un spectateur qui le lorgnait avec insistance. Lui demandant compte l’indiscret lui répondit : « Un chien regarde bien un évêque ». Sa répartie « Qui vous a dit que j’étais évêque » laissa son interlocuteur figé.
Un génie paresseux
L’effort intellectuel était contraire à son humeur vagabonde. Son ami Voltaire le mettra au défi de traduire l’Enfer de Dante. Il lui fallut six ans pour s’acquitter de la tâche. Ce n’est qu’en 1784, lors d’un concours ouvert par l’Académie de Berlin qu’il publiera un « Discours sur l’universalité de la langue française » où son style élégant et limpide va accroître sa renommée. Cependant les jalousies et rancunes auxquelles il a toujours été en butte lui ont valu quelques railleries sur son titre de noblesse. On le suspecta même d’avoir plagié des philosophes comme Buffon ou Condillac. Nicolas Masson de Morvilliers [5] écrit à propos de Rivarol :
Lorsqu’autrefois on a vu Rivarol,
Vrai Laridon, né dans un tourne-broche,
Se nommer comte en descendant du coche,
Bien est-il vrai qu’il a fait pour ce vol
Rire Paris et son bourg de Bagnol ;
Mais aujourd’hui que Garat lui reproche
D’avoir pillé Condillac et Buffon,
L’on ne rit plus et, de par Apollon,
Au pilori du Parnasse on accroche
Le plagiaire et le comte gascon.
La paresse de cet incorrigible fantaisiste de Rivarol s’affirme aussi quand il trompe l’éditeur Fauche à qui il a fallacieusement promis d’écrire un énorme « dictionnaire de la langue française ». Il trompe aussi le roi Louis XVIII qui lui a commandé un pamphlet contre le Premier Consul et qu’il n’écrira jamais. Lui même, avouant son péché de flemmard, dans ses « Pensées Diverses » rédige ainsi son épitaphe « La paresse l’avait ravi avant la mort. »
[1] L’ensemble des manuscrits dont certains inédits, ainsi que ses lettres se trouvent à la médiathèque de Bagnols-sur-Cèze
[2] Sylvain Menant, Rivarol ou l’esprit français, in Balade dans le Gard, sur le pas des écrivains, Ed. Alexandrines
[3] Le Mercure de France est une revue française fondée en 1672 et disparue en 1965 d’abord publiée sous le nom de Mercure galant, qui a évolué en plusieurs étapes avant de devenir une maison d’édition à la fin du XIXe siècle.
[4] Sylvain Menant, Rivarol ou l’esprit français, in Balade dans le Gard, sur le pas des écrivains, Ed. Alexandrines
[5]Nicolas Masson de Morvilliers, (1740-1789), encyclopédiste.