Balade dans le Gard : à la belle étoile avec Robert Louis Stevenson
Les vacances sont souvent synonymes d’évasion, de promenades dans la nature, de découvertes littéraires. L’occasion de faire une balade avec ce jeune auteur écossais de vingt-huit ans sur les sentiers cévenols et de découvrir combien les paysages gardois automnaux d’octobre 1878, à la fois sauvages et pittoresques ont certainement façonné l’auteur de « L’Île au trésor ».
Parti du Puy-en-Velay en solitaire avec pour seule compagne l’ânesse Modestine, Stevenson a minutieusement relaté son expédition en précisant que son voyage a débuté au Monastier-sur-Gazeille pour se terminer à Saint-Jean-du-Gard. Cette randonnée particulière est une première pour l’auteur. Mais pourquoi un tel projet ? Stevenson est amoureux de l’artiste américaine Fanny Van De Grift, mère de deux enfants. Quoi que séparée « les parents de Stevenson n’acceptent pas le mariage de leur fils avec une divorcée ». Stevenson se réfugie alors « pendant un mois dans un village de Haute-Loire, à quarante kilomètres du Puy-en-Velay[1] ». Dans cet environnement calme et apaisant, il rédige le deuxième épisode de ses Nouvelles Mille et Une Nuits. Ne voulant pas rentrer à Paris, comme pour fuir son chagrin toujours présent, il décide de faire un trajet en descendant plus au Sud. Des habitants de Monastier, Stevenson dira « Un touriste de mon genre était jusqu’alors chose inouïe dans cette région. On m’y considérait avec une piété dédaigneuse comme un individu qui aurait décidé un Cévennes voyage dans la lune. Toutefois, non sans un intérêt déférent comme envers quelqu’un en partance vers le Pôle inclément. Chacun était disposé à m’aider dans mes préparatifs. Une foule de sympathisants m’appuyait au moment critique d’un marché. Je ne faisais plus un pas qui ne fût illustré par une tournée de chopines et célébré par un dîner ou un déjeuner.[2] »
Un début de marche difficile
Faire preuve d’autorité sur une ânesse n’est pas chose facile. Voyager sans avoir envie d’une compagnie est certes compréhensible pour cet amoureux quelque peu dépité. Il faut pourtant porter toutes ces affaires, et l’inventaire de ce que Modestine transporte est édifiant : une lampe à alcool, une poêle, une lanterne, des chandelles, un couteau, une gourde, des vêtements de rechange, un livre, une couverture, des tablettes de chocolat, des boîtes de saucisses, un gigot froid, une bouteille de vin du pain, des casseroles, un revolver, un fouet à œufs et des couvertures… Modestine se débarrasse à plusieurs reprises de tout son barda. Elle avance trop lentement, s’arrête souvent pour manger de l’herbe, Stevenson s’énerve, lui tape sur les fesses avec un bâton, mais l’ânesse est une coquine et n’en fait qu’à sa tête. « Pendant tout le voyage, leurs relations relèvent du « je t’aime, moi non plus », entrecoupées d’instants idylliques : quand elle vient manger dans la main de son bourreau sa part du pain qu’il a coupé en deux... »[3]

Le cœur des Cévennes : le voyage devient serein
Le chemin de randonnée qui porte aujourd’hui son nom n’était pas entretenu et planté de panneaux indicateurs signalant les auberges et les lieux d’hébergement. Les personnes croisées sont « bizarres et sympathiques », mais sous des aspects austères ne sont « que des honnêtes et braves gens ». Au gré des rencontres et des villages traversés, il évoque quelques épisodes marquants de la guerre des Camisards, période tourmentée dans l’histoire de cette région protestante. Est-ce cette nature incroyablement plurielle faite de myrtilles, de callunes, de pulsatilles rouges, d’orchidées qui transforme son chagrin en source de joie ? Sont-ce les montagnes de schistes ou la vue de ces vallées verdoyantes et ces rivières qui tracent des rubans argentés qui vont inspirer les paysages de l’île au trésor ? Est-ce que les liens affectifs forts qu’il a tissés tant avec Modestine pendant ces 12 jours ne l’ont pas transformé ? il en parle ainsi dans la diligence qui le mène de Saint-Jean-du-Gard à Alès : « Le père Adam pleura quand il me la vendit. Quand je l’eus vendue à mon tour, je fus tenté de faire de même. Et comme je me trouvais seul avec le conducteur du coche et quatre ou cinq braves jeunes gens, je n’hésitai pas à céder à mon émotion ».
Dans le film réalisé par Caroline Vignal « Antoinette dans les Cévennes » dont le scénario s’inspire du voyage de Stevenson, on retrouve ce même rapport entre l’âne et son guide. Si nous avions été spectateurs de l’épopée qui s’est déroulée à l’automne 1878 hors des sentiers battus, et au milieu des paysages luxuriants des Cévennes, nous aurions eu certainement la même tendresse pour celui qui sans le savoir est à l’origine du trek en montagne et de l’invention du sac de couchage.
[1]Francis Lacassin, Robert Louis Stevenson, écrivain gardois par chagrin d’amour, in Balades dans le Gard, sur le pas des écrivains, Ed. Alexandrines
[2]Robert Louis Stevenson, Le voyage avec un âne dans les Cévennes,
[3] Francis Lacassin, Robert Louis Stevenson, écrivain gardois par chagrin d’amour, in Balades dans le Gard, sur le pas des écrivains, Ed. Alexandrines