Sur le pas des écrivains : Jean Racine à Uzès
« Pour la situation d’Uzès, vous saurez qu’elle est sur la montagne fort haute, et cette montagne n’est qu’un rocher continuel […] Les campagnes qui l’environnent sont toutes couvertes d’oliviers qui portent les plus belles olives du monde… ». C’est ainsi que Jean Racine écrivait du château de Saint Maximin du Gard sa première lettre à La Fontaine ce 11 novembre 1661.
Il existait au XVIIe siècle pour une certaine catégorie de nobles, ce que l’on pourrait nommer aujourd’hui « un emploi fictif ». Pour gagner de l’argent et obtenir suffisamment de revenus pour vivre, il suffisait d’obtenir un prieuré sans besoin d’y résider. C’est principalement dans ce but que Racine accepta de faire ce voyage en Languedoc pour se faire apprécier de son oncle, Antoine Sconin, vicaire général de l’évêque d’Uzès qui pouvait lui octroyer un tel poste[1]. Poste qu’il obtint seulement après son retour d’Uzès en 1666 dans un prieuré proche d’Angers que détenait son oncle.
Uzès lieu de villégiature
On ne sait si Racine écrivit ses lettres du pavillon[1] situé sur la place des Marronniers près de la cathédrale Saint-Théodorit ou du château de Saint Maximin éloigné d’Uzès de quelques kilomètres. Le paysage luxuriant qui s’offrait à ses yeux a certainement donné des couleurs aux citations de l’Arioste, de Virgile, de Cicéron, que Racine connaît par cœur et qu’il transcrit dans certaines de ses correspondances.

Durant son séjour Jean Rohou[2] écrit que le poète « est sensible au climat, aux modes de vie, à la langue et à la religion ». Racine écrit « Nous avons des nuits plus belles que vos jours ». Parlant du temps « janvier est plus agréable que votre mois de mai » et l’été « l’air est à peu près aussi chaud qu’un four » et le chant des cigales « le plus importun du monde ».
Sa vie sociale à Uzès
La ville accueillit Racine avec curiosité et avec plaisir. Les notables dont l’évêque, le doyen, le chapitre (collège de clercs), voulaient le rencontrer. Les poètes du lieu venaient lire leurs vers à ce génie et tous souhaitaient en retour avoir de la main du maître son poème écrit en 1660, La Nymphe de la Seine. Son oncle était fier de son neveu dont la célébrité rehaussait son statut de vicaire général. Parlant des habitants d’Uzès Racine fait part de la vie provinciale dans ce coin de vieille France. Ainsi dans une lettre du 15 novembre 1661 alors qu’il rend visite à son oncle il se dit « épouvanté tous les jours de voir des villageois, pieds nus ou ensabotés ce mot doit bien passer, puisqu’encapuchonné a passé […], Ils causent des mieux… et pour moi, j’espère que l’air du pays va me raffiner de moitié, pour peu que j’y demeure ; car je vous assure qu’on y est fin et délié plus qu’en aucun lieu du monde. »
Racine observe aussi avec précision la vie des paysans qu’il décrit dans une lettre à Vitart, le 13 juin 1662 : « La moisson est déjà fort avancée, et elle se fait fort plaisamment au prix de la coutume de France ; car on lie les gerbes à mesure qu’on les coupe ; on ne laisse point sécher le blé sur la terre, car il n’est déjà que trop sec, et dès le même jour on le porte à l’aire, où on le bat aussitôt. Ainsi le blé est aussitôt coupé, lié et battu. Vous verriez un tas de moissonneurs, rôtis du soleil, qui travaillent comme des démons, et quand ils sont hors d’haleine, ils se jettent à terre au soleil même, dorment un miserere et se relèvent aussitôt. »
L’importance des lettres
Lorsque Racine écrit ses lettres d’Uzès, la distribution du courrier n’en était qu’à ses prémices. Les lettres étaient d’autant plus importantes que le destinataire, qui payait le port d’un montant assez élevé, en faisait part autour de lui. La correspondance privée remplaçait en quelque sorte les journaux pratiquement inexistants, et on la montrait volontiers ou on la lisait à haute voix à ses amis et ses connaissances. Racine dans une de ses réponses écrit ainsi à l’abbé Le Vasseur : « Chacun veut voir vos lettres, et on ne les lit pas tant pour apprendre des nouvelles que pour voir la façon dont vous savez les débiter. Continuez donc, s’il vous plaît, ou plutôt commencez tout de bon à m’écrire, quand ce ne serait que par charité. »
De nombreuses maisons d’éditions ont publié Lettres d’Uzès. Ma préférence va vers la publication de la librairie, Le Parefeuille, établissement mythique d’Uzès qui a récemment fermé et qui a publié en 2002 l’ensemble de cette correspondance. L’occasion de rendre hommage à Monèle et Yves Mandagot qui pendant 40 ans ont fait vivre cette librairie, pas tout à fait comme les autres.

[1]On appelle prieuré le bénéfice paroissial, c’est-à-dire le revenu d’une paroisse, principalement la dîme que l’oncle de Racine pouvait lui octroyer
[2] Le “pavillon Racine” situé sur la promenade des Marronniers près de la cathédrale Saint-Théodorit et surmonté d’un dôme, était autrefois une des tours de la ville. On dit que Racine aurait habité là en 1661-1662.
[3]Jean Rohou, Racine à Uzès, espoir et déception in Balade dans le Gard, Sur le pas des écrivains, Editions Alexandrines.
Bon article. Mais quand on connaît bien l histoire d Uzes et l évolution de la ville on sait que le pavillon “Racine” était en prolongement des sacristies de la cathédrale et non un pavillon séparé. C’est une construction sur une ancienne tour des remparts. Impossible que ce fut au temps de Racine un lieu de résidence..De même à St Maximin le chanoine Sconin possédait une maison, dte Maison Racine. Mais pas le château de Saint Maximin. Cest dans les années 1930 qu un groupe de personne d Uzes la plupart fondateurs de la revue La Cigale Uzetienne proposeront de baptiser la promenade et le pavillon du nom de Racine. Jusque là il n’y avait rien qui marquait à Uzes le souvenir de Racine. Une plaque dans la cathédrale perpétue la mémoire du chanoine Sconin.. Qui n’avait pas le titre de Vicaire Général mais de Présidial du chapitre ce qui est un peu différent dans l’étendue de la fonction. Une autre page a écrire.. 😉