Le Pont du Gard et Amazon : la Pax Romana ébranlée
« Stoppons Amazon à Fournès » ! Tel est le slogan des citoyens ainsi que de 8 associations et organisations mobilisées contre le projet d’installation d’un centre de tri « Amazon » sur la commune de Fournès. Une grande journée de mobilisation est prévue le 30 janvier sur le site de « La Pâle » en vue du blocage de ce projet. Retour sur ce dossier qui mobilise bien au-delà de la commune où le géant de la distribution de colis compte s’implanter.
L’histoire de David et Goliath transposée à l’époque contemporaine tend à se répéter et à faire des émules parmi des citoyens attachés à leur environnement, à leur santé et à un développement mesuré prenant en compte les atouts de leur territoire.
En 2016 en Équateur, c’est un petit amphibien à la peau tachetée de jaune qui a fait céder l’exploitation d’un grand groupe minier grâce à l’entêtement et le combat de Carlos Zorilla, activiste et fondateur de l’organisation environnementale pour la défense et la conservation écologique de la vallée de l’Intag (Defensa y Conservación Ecológica de Intag [Decoin]).
En France, La Cour de cassation a rejeté, le mercredi 21 octobre 2020, le pourvoi formé par Monsanto, filiale du groupe Bayer dans le dossier l’opposant à l’agriculteur Paul François en la condamnant définitivement.
Ces exemples de combats ne sont pas uniques. Sur le territoire de la Mairie de Fournès, petite commune de la communauté de communes de Pont du Gard, des habitants de la commune s’opposent à l’implantation d’un centre de tri d’Amazon depuis plus d’un an.
Ma zone Oui, Amazon Non
Les habitants de Fournès ont été informés un peu par hasard de ce projet. C’est Patrick Genay, apiculteur installé à Fournès qui en échangeant avec un riverain lui a confié qu’il était obligé de quitter le local mis à disposition par la mairie allait être détruit « parce qu’un entrepôt d’Amazon allait être construit ici ». La rumeur s’est répandue aussi vite qu’une légion de romains luttant contre l’envahisseur Amazon.
Des Gaulois réfractaires
Tout a commencé en juin 2018 quand le Conseil municipal de la mairie de Fournès adopte une délibération [1] accordant un permis de construire à la société Argan l’autorisant à créer un centre de tri de colis d’une superficie proche des 39 000 m². Deux conceptions du développement local vont alors s’affronter : d’un côté les partisans favorables à toutes les opportunités économiques qui se présentent, surtout en cette période anxiogène affectant l’emploi, de l’autre des citoyens de Fournès, des organisations et groupements solidaires dont l’écologie et la préservation de terres agricoles sont le principal cheval de bataille. Ceux qui sont à l’origine de cette contestation, se sont tout d’abord regroupés au sein du « Collectif Forum Citoyen Fournès » puis ont créé l’association ADERE [2]. Un précédent s’était pourtant déjà produit sur cette zone.
Avant le dossier ARGAN, il faut rappeler que six ans auparavant un projet similaire avait été déposé.
En 2014 Le Conseil d’État retoque « un village de marques »
La société Fournès Développement, après plusieurs jugements, s’était déjà vue censurer définitivement par décision du Conseil d’État [3] l’autorisation de créer sur la zone de « La Pâle » un « village de marques » composé de 90 boutiques d’une surface totale de vente de 22 030 m². Les termes de la motivation précisaient que « la surface de vente est localisée en zone non-urbanisée à dominante agricole, dominée par des vignes [et qu’en raison de sa taille elle] est de nature à porter atteinte à l’activité commerciale des villes environnantes et donc à nuire à l’animation de la vie urbaine ». L’arrêté note par ailleurs qu’un « parc de stationnement de 1 306 places engendrerait une croissance significative du trafic routier de nature à affecter la fluidité et la sécurité de la circulation à ses abords », Le Conseil d’État précise enfin « le village de marques ne sera accessible qu’en automobile ; que, par ailleurs, l’accession au site par des moyens de transport doux n’est pas sérieusement envisagée, qu’enfin son insertion paysagère et environnementale est insuffisante, en particulier en raison de l’emprise du parc de stationnement supérieure à trois hectares et de l’imperméabilisation massive des sols qui résultera de sa réalisation. »
Comment expliquer alors que le Conseil municipal de Fournès malgré ce précédent a délivré à la société ARGAN en juin 2018 l’autorisation de construire un centre de tri logistique d’une superficie de 38 800 m² sur la même zone.
Une brochette de délibérations
Il est important de signaler que le SCoT [4] et le PLU [5] de la commune de Fournès sont en cours de modification pour transformer cette zone agricole en zone industrielle et la rendre compatible avec le projet ARGAN.
Pour comprendre l’origine de cette contestation il convient d’établir le déroulé depuis la délibération prise par le Conseil municipal de la mairie de Fournès en date du 26 juin 2018, date à laquelle les élus votent le projet du centre de tri, suivi au 31 octobre de cette même année du dépôt du permis de construire de la SA ARGAN pour le compte d’AMAZON.
L’inquiétude va commencer à se faire sentir auprès d’administrés qui interpellent leurs élus devant l’ampleur d’un tel projet. Ils ne vont pas obtenir la moindre réponse. En poussant plus loin leurs investigations, ils découvrent que certaines parcelles cédées dans le cadre du projet et situées exactement sur la zone de la Pâle appartiennent aux oncles de Madame le Maire, d’autres au Premier adjoint et d’autres encore au frère d’une conseillère municipale et deux autres à Monsieur le Maire de Remoulins qui est aussi élu à la Communauté de Communes du Pont du Gard. Les actes de vente de ces terrains ont été signés auprès d’un notaire.
À partir de la première délibération de juin 2018, ce sont six délibérations qui vont suivre jusqu’au mois d’octobre de cette même année (041, 045, 046, 057, 051, 060, 061). Pour être totalement conformes, six autres délibérations seront prises entre avril 2019 et août 2019. (027, 029, 045, 046, 047, 057) car les élus intéressés ont non seulement impulsé le projet mais sont de près ou de loin directement impliqués par la vente des parcelles.
Y a-t-il prise illégale d’intérêts, ? Les régularisations sont-elles recevables ? Les délégations de signatures sont-elles entachées d’irrégularités ? Les élus ont-ils exercé leur mandat dans le respect des principes déontologiques dévolus à leur statut ? Le permis de construire est-il recevable ? Le PLU peut-il être validé ? Autant de questions sur lesquelles le Tribunal administratif devra statuer, sachant qu’à ce jour la présomption d’innocence prévaut pour les élus de Fournès tant que le jugement n’est pas rendu.
Maître Alexandra Bouillard, avocat en droit pénal représente les administrés de Fournès sur la partie administrative et pénale du dossier. Le cabinet d’avocats Lepage intervient pour sa part sur la partie environnementale.
Entre espèces protégées menacées, lieu touristique mondialement connu, terres cultivables compromises, l’installation de la plateforme logistique est une aberration d’après les constatations établies par différentes associations et groupement environnementaux.
Un tourisme déclassé
La zone de “la Pâle” est située à quelque 5 kilomètres du Pont du Gard classé au patrimoine mondial de l’UNESCO. Les milliers de visiteurs qu’attire le site profitent aussi des paysages environnants, de la garrigue, de la route des vignobles, des gorges du Gardon et de la route antique. L’activité de la gigantesque plateforme logistique, au-delà de l’impact esthétique qu’elle donnerait dans le paysage, engendrerait aussi le passage de quelque 500 camions par jour, 24 heures sur 24. Le projet ARGAN pourrait également occasionner la perte de labellisation du site et affecter les revenus touristiques des commerces vivant de ce rayonnement que leur confère toute cette zone.
Écosystème et agriculture
À l’heure où l’on parle de favoriser la diversification des cultures, de privilégier l’arboriculture et le maraîchage, de protéger la biodiversité animale, l’installation d’une plateforme logistique de cette ampleur serait en complète opposition avec le projet du Parc Naturel Régional que portent 80 communes réparties entre l’Uzège, une partie de l’Agglo du Gard rhodanien d’Alès et de Nîmes, de la communauté de commune du Pont du Gard et celle de Cèze Cévennes.
Les associations institutionnelles de l’environnement et des citoyens, sont unanimes sur la nécessité de ne plus artificialiser les sols. Les adhérents de l’ADERE ont fait des propositions pour que ce projet s’implante sur des friches industrielles déjà existantes.
Quid des abeilles, du chiroptère, de la pie-grièche, de l’outarde canepetière ? Quid de l’arrachage de 5 hectares de vignes AOC Côtes-Du-Rhône ? Autant de questions auxquelles pourraient s’ajouter les risques de pollution cumulés entre la circulation due à la plateforme et celle de l’autoroute.
AMAZON ou MA ZONE : il faut choisir
Qu’adviendra-t-il de cette zone historiquement agricole ? Les emplois qui seraient proposés en priorité à la population locale sont un argument mis en avant par les partisans du projet. Dans le dossier initial il était question de 600 emplois. En novembre 2019 (FR 3 Région du 21 novembre) le préfet du Gard, Didier Lauga parlait de « 150 à 200 emplois à la clef ». Il est difficile d’estimer quels seraient concrètement les contrats qu’offriraient AMAZON. Emplois saisonniers, CDI, CDD, ne peuvent être réservés spécifiquement à la population locale, l’égalité devant l’emploi est offerte indistinctement à toute personne.
Une enquête publique avait été menée du 3 juin au 3 juillet 2019 et avait mobilisé plus de 550 participants dont 90 % ont voté contre le projet ARGAN. Les projets d’Amazon suscitent plusieurs réticences dans de nombreux territoires français. Des arguments communs sont chaque fois évoqués : pollution, nuisances sonores, emplois précaires ont été dénoncés dans un rapport édité par d’Attac, des Amis de la Terre et de l’Union syndicale Solidaires [6]. Goliath a fort à faire avec les « David » de plus en plus nombreux, peut-être ne faut-il pas se fier aux apparences, le plus petit peut parfois triompher du plus fort.
[1] Permis de construire n° 030 116 18 R, arrêté 2019/16 sur la zone de la Pâle, édifié sur 13,7 ha de terres agricoles, 38 800 m² de bâtiments industriels, 14 mètres de hauteur moyenne dont certains bâtiments culminant à 18 mètres.
[2] ADERE (Association pour le Développement de l’Emploi dans le Respect de l’Environnement) a pour objectif de défendre le patrimoine culturel, environnemental, humain et l’emploi sur le secteur de l’Uzège Pont du Gard.
Elle veille à la qualité de vie des habitants de ce territoire, en protégeant l’écosystème, la biodiversité et en empêchant une artificialisation à outrance des sols et terres agricoles.
[3] Décision définitive du 23 décembre 2014 (N° 371545) dont l’intégralité du texte se trouve ICI
[4] SCOT : Les schémas de cohérence territoriale (SCoT) sont des documents de planification stratégique à long terme (environ 20 ans) créés par la loi solidarité et renouvellement urbains (SRU) en décembre 2000, dont le périmètre et le contenu ont été revus par ordonnance du 17 juin 2020, afin d’être adapté aux enjeux contemporains. Le SCoT doit respecter les principes du développement durable :
- principe d’équilibre entre le renouvellement urbain, le développement urbain maîtrisé, le développement de l’espace rural et la préservation des espaces naturels et des paysages ;
- principe de diversité des fonctions urbaines et de mixité sociale ;
- principe de respect de l’environnement, comme les corridors écologiques, et de lutte contre l’étalement urbain. Il permet d’établir un projet de territoire qui anticipe les conséquences du dérèglement climatique, et les transitions écologique, énergétique, démographique, numérique…
[5] PLU : Le Plan local d’urbanisme favorise l’émergence d’un projet de territoire partagé. Il prend en compte les politiques nationales et territoriales d’aménagement et les spécificités d’un territoire (Art. L.121-1 du code de l’urbanisme). Il détermine les conditions d’un aménagement du territoire respectueux des principes du développement durable, en particulier par une gestion économe de l’espace, et la réponse aux besoins de développement local. Le décret relatif à la modernisation du contenu du plan local d’urbanisme a été publié le 29 décembre 2015. Son enjeu principal : répondre à un besoin de clarification et de mise en cohérence des règles d’urbanisme, pour en faciliter l’utilisation.
[6] https://france.attac.org/IMG/pdf/amz-hd.pdf Dans ce rapport, Attac France, les Amis de la Terre et l’Union syndicale Solidaires démontrent, chiffres et données à l’appui, l’impunité fiscale, sociale et environnementale dont jouit Amazon depuis de trop nombreuses années. Cette étude présente une série d’indicateurs qui éclairent sur l’impact écologique et économique sur les territoires. Enfin, il met enfin en évidence une série de pratiques illégitimes de la multinationale : du chantage à l’emploi sur des élu·e·s jusqu’à l’organisation de la gentrification de quartiers entiers à Seattle.
Bonjour
Je suis Gérard TORNAY, ex membre fondateur de l’Association ADERE.
J’ai décidé de quitter cette association.
Votre présentation n’est pas totalement juste et j’en suis fort déçu.
Concernant l’aspect pénal, je suis à l’origine de cette procédure pusque j’ai intégralement collecter, payé et construit cette plainte.
Certes, elle a été signé par un tiers mais en rien dans sa construction.
Sauf erreur de ma part, la chambre criminelle de la Cour de cassation a juger que les contribuables d’une commune ne pouvaient être admis à se constituer partie civile faute de pouvoir justifier d’un préjudice personnel et direct.