« Instruire, Éduquer ? ». Trouble dans l’éducation.

Par Jacques Gleyse, professeur émérite, Université de Montpellier, Laboratoire LIRDEF, EA 3749.

   

En préambule : un peu d’histoire de l’École en France

Le 28 juin 1833, pour la première fois après les tentatives infructueuses de la Ire République et de la Révolution Française, l’Etat au travers de la loi dite « Guizot », tente de détacher l’école de l’Eglise catholique. Cela se produit dans le contexte de la Monarchie de Juillet (9 août 1830) et des émeutes dites des « Trois glorieuses » qui ont précédé sa mise en place. La loi Guizot répond à l’article 69 de la Charte de 1830 qui prévoyait qu’une loi porterait sur « l’Instruction publique et la liberté de l’enseignement ».

La loi Guizot est composée de 25 articles. Elle est consacrée à l’Instruction primaire et primaire supérieure. Elle souligne que l’instruction primaire : « comprend nécessairement l’instruction morale et religieuse, la lecture, l’écriture, les éléments de la langue française et du calcul, le système légal des poids et mesures ». L’instruction primaire supérieure (équivalent du collège et du lycée aujourd’hui) comprend « des éléments de mathématiques, de sciences de la nature, d’histoire et géographie ». Selon les besoins et les ressources des localités des notions plus complexes peuvent être étudiées.

En 1833 l’instruction primaire n’est ni obligatoire ni gratuite ni laïque mais un comité communal a pour responsabilité de s’assurer : « qu’il a été pourvu à l’enseignement gratuit des enfants pauvres ».

L’instruction à l’époque est réservée aux garçons et l’école n’est pas séparée de l’Église catholique. Cependant toute personne âgée de plus de 18 ans peut exercer la profession d’instituteur primaire à condition d’obtenir un brevet de capacité à la suite d’un examen et de présenter un certificat de moralité délivré sur l’attestation de trois conseillers municipaux, du maire de la ou des communes où aura résidé l’impétrant depuis trois ans. Tout instituteur privé pourra être « interdit de l’exercice de sa fonction pour cause d’inconduite ou d’immoralité ».

Brevet de capacité pour l’enseignement primaire

Chaque Département par ailleurs doit entretenir une École Normale d’Instituteur et chaque commune de plus de 300 habitants une École primaire publique et un instituteur. Guizot écrira une circulaire à ceux-ci dès la parution de sa loi : « L’universalité de l’instruction primaire est [aux] yeux [du gouvernement] l’une des plus grandes, des plus pressantes conséquences de notre Charte ; il lui tarde de la réaliser. Sur cette question, comme sur tout autre, la France trouvera toujours d’accord l’esprit de la Charte et la volonté du roi. »

Voici comment finalement comment s’est initiée l’école primaire laïque, gratuite et obligatoire que nous connaissons aujourd’hui.

Les lois Falloux du 15 mars 1850 élargissent cette charte aux filles en créant des écoles primaires féminines. Cependant elles apportent des régressions importantes au regard de la laïcité à la loi Guizot, notamment en restituant à l’Église catholique apostolique et romaine le droit d’enseigner à tous les niveaux et en associant au Maire de la commune le curé. Pour autant les contenus délivrés dans l’instruction primaire restent les suivants : « apprentissage de la lecture, apprentissage de l’écriture, apprentissage des rudiments du calcul, éducation morale et religieuse, pour les filles seulement, les “travaux d’aiguille”. Un programme facultatif est également proposé qui comprend : « l’histoire, les sciences naturelles, le chant, la gymnastique, le dessin ».

Ecole de filles au début du XXe

Le Ministère de l’Instruction publique des Beaux-Arts et des Cultes gère l’ensemble des structures d’instruction. L’Église catholique notamment a une forte influence au sein de ce ministère à tel point que Victor Hugo déclarera lors des discussions sur la loi Falloux à l’Assemblée Nationale : « L’Église chez elle et l’État chez lui ! ».

Comme chacun le sait la séparation des Écoles et des Églises interviendra progressivement à partir des lois de 1880 appelées souvent lois « Jules Ferry ». Le 27 février 1880 les conseils académiques excluent des instances consultatives les représentants du clergé. La loi de 1881 rend l’enseignement primaire totalement gratuit. Les Communes et l’État en assurent les frais. La loi de 1882 rend obligatoire l’enseignement de 7 à 13 ans et supprime l’enseignement religieux des programmes et rend obligatoire la gymnastique et le dessin.

Les lois Falloux sur l’aspect religieux sont partiellement abrogées par la loi Goblet du 30 octobre 1886 (et totalement seulement en 2000).

Enfin en 1904 Émile Combes fait promulguer la loi qui interdit aux congrégations religieuses d’enseigner y compris dans les écoles privées. La loi du 12 décembre 1905 contribue à définitivement séparer les Églises et l’État et à séculariser l’État. Pour autant les écoles privées ne sont pas remises en cause. Beaucoup plus tard les lois Debré du 31 décembre 1959, leur rendront une place plus importante aux écoles privées en leur donnant la possibilité d’une contractualisation ce qui signifie que des subsides sont accordés par l’État aux écoles privées (généralement catholiques). Cela signifie aussi qu’en contrepartie les programmes doivent être les mêmes que dans l’enseignement public et que le catéchisme devient optionnel. Par ailleurs, les enfants ne partageant pas la même religion que l’établissement ou n’en ayant aucune ne peuvent y être refusés.

Séparation des Écoles et des Églises

À partir de 1982 Alain Savary ministre de François Mitterrand soumet un projet de loi visant à créer un grand service public d’éducation. Il s’agit aussi d’intégrer les maîtres du privé dans la fonction publique d’État ce qui, bien sûr, remet en cause leur autonomie. Si les partisans de la laïcité considèrent que le projet ne va pas assez loin souhaitant voir supprimer purement et simplement les écoles privées confessionnelles, au contraire les partisans de l’École privée (dite « école libre ») se mobilisent fortement, à tel point que François Mitterrand en 1984 abandonnera totalement ce projet d’un grand service public de l’Éducation.

Manifestation pour l’école libre en 1984

En France aujourd’hui, selon les sources, autour de 15 % des élèves continuent d’être scolarisés dans des établissements privés, généralement sous contrat d’État (mais un petit nombre ne le sont pas). Et si la loi (de 2000) jusqu’à présent rendait l’enseignement obligatoire de 3 à 16 ans, il ne l’était pas à l’École (publique ou privée) mais pouvait être donné dans les familles qui en théorie pouvaient être contrôlées par les services des rectorats et d’inspection. Donc si « l’enseignement » était obligatoire l’École ne l’était pas et ne l’est toujours pas à ce jour contrairement à ce que peuvent croire un certain nombre de français.

Dénomination des ministères

On vient de voir que les structures étatiques concernant l’Éducation en France se sont considérablement modifiées depuis pratiquement deux siècles pour tendre vers une plus grande « laïcité » mais aussi pour aller de plus en plus vers un contrôle de l’État au détriment d’autres structures et notamment de l’Église catholique apostolique et romaine mais plus généralement toutes les églises. Cela cependant n’est pas tout à fait vrai pour l’ensemble du territoire français puisque certains DOM-TOM ont des règles particulières et il en va de même de l’Alsace-Moselle ou Alsace-Lorraine (départements du Haut Rhin, du Bas Rhin et de la Moselle) toujours placés sous le régime napoléonien du Concordat et qui n’ont donc pas appliqué les lois Ferry et la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État car ces départements étaient prussiens.

Les dénominations des ministères qui ont eu la charge de l’Éducation pour l’État se sont aussi considérablement modifiées au cours du temps.

En effet c’est en 1824 qu’est créé pour la première fois un « Ministre des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction Publique ». Il est confié à un ecclésiastique Monseigneur Denis Frayssinous. Quatre ans plus tard, est instauré un « Ministère de l’Instruction publique » confié à Antoine Lefebvre, Comte de Vatimesnil. Il est séparé des affaires ecclésiastiques et devient indépendant du ministère des cultes.

Mais jusqu’aux lois Jules Ferry le Ministère de l’Instruction publique sera rattaché au Ministère des Cultes et aura donc pour dénomination de manière itérative « Ministère de l’Instruction publique des Beaux-Arts et des Cultes » ou simplement « Ministère de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts », au gré des changements politiques. C’est seulement après la loi de séparation des Églises et de l’État que le nom se stabilisera en « Ministère de l’Instruction publique et des Beaux-Arts ».

Si j’ai souligné à chaque fois le mot « Instruction » c’est pour bien signifier qu’il n’est jamais question alors d’éducation pas davantage d’enseignement ou d’apprentissage. Il faut en effet attendre l’élection Cartel des Gauches (1924) et la loi Herriot (radical-socialiste) du 3 juin 1932 pour que le Ministère de l’Éducation nationale soit créé. Anatole de Monzie (1876-1947), radical-socialiste qui a été, brièvement, en 1925 « Ministre de l’Instruction Publique et des Beaux-Arts » devient le premier ministre de l’Éducation nationale.

Il explique lors de sa nomination que ce changement d’appellation du Ministère est lié au fait d’aller vers davantage d’égalité dans l’Éducation et surtout vers davantage de gratuité encore (les collèges et lycées restent payants jusqu’en 1933 bien que les écoles primaires et les Écoles Normales soient-elles gratuites). Il est influencé par le philosophe Victor Cousin (ancien ministre de l’Instruction publique — 1792-1867 — philosophe dit : éclectique) et par le mouvement dit de « l’École Nouvelle ». L’École Nouvelle ou l’Éducation Nouvelle est un mouvement créé au tournant du XIXe et du XXe siècle qui promeut des méthodes de pédagogie active (opposées aux pédagogies transmissives et passives) avec des auteurs comme Maria Montessori (il existe aujourd’hui des écoles Montessori payantes hors contrat d’État), Ovide Decroly, John Dewey, etc.

Madame Montessori

En France ce sera essentiellement le communiste Célestin Freinet (1896-1966) qui sera associé à ce mouvement mais aussi un peu plus tôt Roger Cousinet (1881-1973). Dès le 20 juin 1923, ce mouvement sera perceptible dans les Instructions Officielles destinées à l’enseignement primaire en proposant aux Instituteurs des méthodes actives d’Éducation (je souligne) et plus seulement d’Instruction (je souligne aussi). Ces instructions (qui instruisent donc) affirment qu’il faut le plus souvent utiliser :

« La méthode active, faisant un appel constant à l’effort de l’élève et l’associant au maître dans la recherche de la vérité. Méthode inspirée par la grande tradition des penseurs français qui se sont occupé de l’éducation, depuis Montaigne jusqu’à Rousseau ».

C’est pour cela qu’il faut :

« Que partout les élèves collaborent à la préparation des leçons, à la récolte des matériaux et des documents (qu’il s’agisse de cartes postales illustrées, de plantes ou d’insectes) ; que partout ils fabriquent de leurs mains des objets de démonstration ; que partout ils travaillent effectivement pendant que le maître parle ; que partout on s’ingénie à rendre la classe plus animée et plus vivante. À l’enseignement par l’aspect, forme intéressante de la méthode concrète qui n’a pas dit son dernier mot et que le cinématographe va renouveler, il faut superposer une autre forme de la même méthode qui n’en est encore qu’à ses balbutiements, mais qui décuplera l’efficacité de l’art pédagogique, l’enseignement par l’action ».

C’est également pour cette raison que le terme Instruction publique disparaîtra au profit de celui d’Éducation Nationale. En effet, si étymologiquement instruire c’est « bâtir », « construire » un peu comme si l’on pouvait construire l’esprit de l’élève par l’enseignement d’un maître omnipotent et omniprésent (enseigner = in-signare : marquer d’un sceau ou de son signe), éduquer vient du latin educare mais aussi selon d’autre interprétation de ex ducere qui signifierait dans ce cas « conduire hors de ». Autrement dit, l’instruction serait relativement statique et peu propice à la création alors que l’éducation serait-elle plus ouverte et surtout elle serait un cheminement jamais achevé qui conduirait l’élève hors de ses habitudes (familiales ?), de ses routines pour l’ouvrir sur un voyage dans son savoir et dans les connaissances.

Retour à la case départ l’instruction en lieu et place de l’éducation ?

Le 3 septembre 2020 le président de la République prononce un discours qui initialement souhaitait se positionner contre le « séparatisme » autrement dit contre une tendance de la société française contemporaine qui verrait des communautés ne plus s’associer au projet de République (res publica : la chose de tous) mais, en quelque sorte, faire sécession pour former des groupes inassimilables ou refusant de s’intégrer en développant des manières de se comporter non conformes à ce que certains essayistes (généralement de droite et d’extrême droite) considèrent aujourd’hui comme étant « La France » ou plus précisément l’identité française. Sont particulièrement visés sur cette question du séparatisme les musulmans en général et les islamistes en particulier. Mais le discours du Président Emmanuel Macron n’est pas centré uniquement sur l’organisation du culte musulman et sur la question de la laïcité à la française (la loi du 9 décembre 1905) — qui d’ailleurs n’est jamais définie clairement dans aucun texte officiel alors même que l’article premier de la constitution de 1958 affirme que : la France est une République Indivisible, Laïque, Démocratique et Sociale —, il s’intéresse aussi à la question scolaire. L’École est en effet considérée, semble-t-il par le Président, comme un lieu majeur de la construction de la République et du vivre ensemble.

On se rappelle que dans ce qui précède nous avons vu que la loi de 1905 n’est pas une loi laïque mais une « loi de séparation des Églises et de l’État » (reprenant en cela la vision et les mots de Victor Hugo). Elle vise à distinguer le séculier du clérical, ce qui relève du peuple (civil) de ce qui relève du Clergé (distinction laicus vs clericus, laïkos vs klerikos en latin ou en grec qui était la base des républiques romaines ou athéniennes). Dans le contexte scolaire, la loi de séparation des Églises et de l’État implique qu’il n’y ait pas de catéchèse à l’école mais par exemple un enseignement du fait religieux faisant bien la différence entre une croyance et une réalité factuelle. Mais rien ne dit que lorsque les enfants reçoivent une « instruction » à la maison ou plutôt une éducation à la maison cela soit interdit et a fortiori lorsqu’il s’agit d’une éducation dans un établissement privé hors contrat d’État. Dès lors le discours du Président Emmanuel Macron cherche à modifier cette dérive devenue selon lui de plus en plus fréquente mais, ce faisant il change aussi le but profond de l’Éducation nationale. Il propose en effet :

« D’Agir à l’école, qui doit redevenir un creuset républicain. 50 000 enfants suivent l’instruction à domicile. Chaque jour des recteurs découvrent des enfants totalement hors système. Chaque semaine des préfets ferment des écoles illégales, souvent administrées par des extrémistes religieux.

Face à ces dérives qui excluent des milliers d’enfants de l’éducation à la citoyenneté, de l’accès à la culture, à notre Histoire, à nos valeurs, à l’expérience de l’altérité qui est le cœur de l’école républicaine, j’ai pris une décision : dès la rentrée 2021, l’instruction à l’école sera rendue obligatoire dès trois ans. L’instruction à domicile étant strictement limitée aux impératifs de santé.

Parce que l’école doit d’abord inculquer les valeurs de la République, non celle d’une religion, nous allons mettre fin aux ELCO, les Enseignements Langues et Culture d’Origine.

La République résistera par l’école à ceux qui veulent l’abattre ! ».

Il est peu probable que le président de la République ou les rédacteurs ou rédactrices de son discours puissent ignorer le sens des mots instruction et éducation. Ainsi lorsqu’il est question de l’instruction obligatoire à l’école probablement se réfère-t-on davantage à un processus d’inculcation de valeurs, de croyances, de méthodes spécifiques à un État séculier tel qu’il était voulu par la IIIe République. Il suppose en quelque sorte qu’il ne s’agit plus d’éduquer et remet finalement en quelque sorte en question la dénomination du Ministère de l’Éducation Nationale pour le renvoyer à ses origines de Ministère de l’Instruction Publique. Il ravive par ailleurs, en quelque sorte, la guerre scolaire de la IIIe République et des lois Émile Combe mais cette fois en ne la supposant pas avoir lieu entre l’État et l’Église catholique apostolique et romaine mais bien entre la République et la religion musulmane et plus généralement l’Islam et surtout un Islam politique qui « voudrait abattre la République ». Cette vision ne semble pas être celle de la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État qui ne cible pas une religion en particulier (bien qu’on puisse comprendre qu’à cette époque il s’agisse de la religion catholique).

Par ailleurs, il ne semble pas que le fait de substituer instruire à éduquer et en quelque sorte l’Instruction Publique à l’Éducation Nationale soit bien dans son temps. Certains économistes (Alternative Économique, les Économistes Atterrés) affirment que la pensée économique du Président Emmanuel Macron est un anachronisme dans le sens où elle applique la théorie du choc et les théories des économistes ultralibéraux qui ont inspiré les politiques de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan dans les années quatre-vingt avec quarante ans de retard et dans un monde qui n’est plus du tout en phase avec cette vision des choses surtout pendant la crise de la Covid-19. On peut se demander si ramener l’Éducation Nationale à l’Instruction Publique ne serait pas là aussi un immense anachronisme de près d’un siècle.

Reste la question de la suppression de l’éducation à domicile ou dans des écoles hors contrat (mais on aurait pu aussi se poser la question de certaines écoles sous contrat), de toute évidence si le but de l’école publique est bien de faire société et en ce sens de lutter contre le communautarisme l’école publique obligatoire de 2-3 à 16 ans est probablement ce qui a permis de constituer et de solidifier une véritable République (la IIIe République a duré de 1870 à 1939 soit 69 ans). Cela Jules Ferry, Émile Combes et ses proches de la Gauche Démocratique l’avaient bien compris. Cependant il n’est pas certain que l’on puisse penser le monde de la même façon en 2020 qu’en 1880.

Repenser l’universalité ?

Alors que le sociologue de l’Institut Universitaire de France, Michel Maffesoli, par exemple, prophétise une postmodernité où domineraient Le Temps des tribus et la Transfiguration du politique, il est peu probable que l’universalité puisse comme c’était le cas à la fin du XIXe siècle, se penser comme une uniformité mais bien au contraire comme une pluralité. Ainsi l’équilibre entre universel et singulier resterait à trouver et il est peu probable qu’il se trouve dans des recettes un peu éculées.

Depuis l’origine de l’État, communauté et société (Gemeinschaft et Gesellschaft selon la sociologie allemande de Ferdinand Tönnies à George Simmel et Max Weber) ont dû trouver un compromis acceptable. La société lorsqu’elle est devenue trop uniforme et éliminatrice de la communauté dans sa diversité a produit des totalitarismes (Stalinisme, Nazisme, Révolution culturelle chinoise, etc.) à l’inverse la communauté toute-puissante et rejetant la société a donné l’individualisme forcené : l’Ère du vide (Gilles Lipovetsky, 1983) et l’émiettement mortifère de l’État.

Pour Tönnies ce qui distingue cependant la communauté de la société c’est le passage d’une volonté organique (le sang, les parents, les pratiques coutumières, le village) à une volonté réfléchie, issue de la pensée humaine (proche de la vision des Lumières — Aufklärung — d’un fondement sur la raison et non sur l’émotion). On comprend donc qu’il n’est pas facile de concilier ces deux dynamiques. Il semble pourtant que notre société contemporaine tiraillée entre l’ombre et les Lumières, entre tradition et modernité, entre postmodernité et modernité va devoir trouver un compromis. En tout état de cause, revenir à l’instruction au détriment de l’éducation ne réglera en aucun cas le problème. Rendre du pouvoir à l’école pour qu’elle fasse davantage société pourrait par contre aider à avancer vers un universalisme pluriel et non uniforme. Pour cela il faudrait que l’école ne se fige pas dans une instruction sclérosante et figée mais s’ouvre à l’éducation vraie aidant chaque élève à tracer son propre chemin de vie. Les pédagogies actives telles la pédagogie Freinet ou la pédagogie institutionnelle où l’enfant participe à la réalisation des lois dans les classes initiées par Aïda Vasquez ou Fernand Oury[1] mais aussi par François Tosquelles, Jacques Pain, Catherine Pochet ou René Laffitte dans les années 1970-1980 pourrait être une piste bien plus pertinente et bien moins anachronique qu’un retour vers « l’instruction » prôné par le discours du Président Emmanuel Macron. Cette question d’une pédagogie moderne, dans son temps, ne se posant pas seulement la question de l’instruction, mais aussi celle de l’éducation vraie et conciliant communauté et société mériterait à elle seule un autre article.

La méthode Freinet

[1] Oury, F. & Vasquez, A. De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle. Paris : Maspéro, 1971. Oury, F. & Vasquez, A. Vers une pédagogie institutionnelle, Paris : Maspéro, 1966. Pochet, C. & Pain, J. Qui c’est le conseil ? Paris : Maspéro, 1979. Tosquelles, F. Éducation et psychothérapie institutionnelle, Paris : Champ Social, 2006. Laffitte, R. Mémento de pédagogie institutionnelle. Faire de la classe un milieu éducatif, Paris : Matrice, 1999.

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