Rhétorique ou langue de bois

La période que nous vivons est un moment privilégié où le citoyen peut entendre, lire, observer, la langue de bois politique se répandant avec ses sinuosités d’onction et de velours. Les arguments de transparence, de confiance, d’humilité font aujourd’hui partie du vocabulaire de nos dirigeants avec la même ferveur qu’ils condamnaient les planqués, assistés, fonctionnaires, parasites de l’arrière, toute cette « mauvaise graisse » qui conduisait l’État à la faillite.

 

Nos dirigeants sont donc « capables de monter sur leurs propres épaules pour dominer la foule et lui conter qu’il lui faut ceci ou son contraire, quoique l’inverse soit tout aussi souhaitable »[1]. Leur rhétorique, plutôt vulgaire et plate d’un point de vue littéraire est assez simple à décoder. Par contre son impact peut s’avérer d’une grande efficacité et conduire les individus à ne plus penser. Est-ce que ce baratin, parsemé de propos contradictoires réussit à s’incruster dans le cerveau de ceux qu’ils considèrent comme « leurs chers cons-citoyens ». ? L’État d’urgence sanitaire que le gouvernement peut prolonger à l’envi, est expliqué par les porte-valises du Prince. Ces bavards veulent récupérer à leur profit « la seule vérité » diffusée par force médias comme une loi dont les contraintes sont, pourrions-nous en douter, aussi dures que la loi de la pesanteur. Il faut les croire, sinon on va tous s’écraser !

 

La langue est fasciste[2]

Selon la tragique hypothèse de Roland Barthes, l’ordre est le discours lui-même. Il n’existe pas un « ordre préexistant », naturel et extérieur au discours. Transposé aux discours répétitifs et contradictoires depuis (avant) le début de la crise du coronavirus, on peut poser l’hypothèse que Dieu (Macron et ses apôtres) est non seulement la source, mais aussi le garant de tout savoir. Il faut en « arriver à des conclusions qui soient acceptées par les dieux eux-mêmes » écrivait Platon, c’est-à-dire retrouver les causalités voulues par la puissance divine et les lui restituer. « […] les idées divines étant entièrement rationnelles, […] elles se caractérisent par l’évidence, qui contraint tout être de raison à s’y soumettre »[3].

 

Tout est dans le tout et surtout son contraire

« Ingénieuse alliance de mots contradictoires ». C’est ainsi que Bailly[4] (1833-1911) traduit dans son dictionnaire de grec ancien cet oxymore. Cette forme de rhétorique pourrait s’appliquer au gouvernement qui depuis le mois de janvier tente de nous maintenir dans cette « obscure clarté qui tombe des étoiles[5] ». Citons quelques contradictions relevées dont la liste complète pourrait donner l’idée à quelque auteur de rédiger un livre aussi épais que la nature des mensonges diffusés, ce qui laisse imaginer une future édition en plusieurs volumes. Ces quelques exemples notés aux travers de médias depuis le début de la crise en sont l’illustration :

 

Agnès Buzyn avance masquée

Première contradiction de la ministre le 26 janvier 2020 : les masques chirurgicaux « non ils ne protègent pas du virus, ils ne protègent que si on est malade », « les masques ne servent à rien si vous n’êtes pas malade », propos relayés par plusieurs membres du gouvernement dont Sibeth Ndiaye. Sauf qu’au mois d’avril le nouveau ministre de la santé présente un masque grand public « qui a la même faculté de filtration » et sera donc obligatoire dans certains lieux, comme dans les transports en commun par exemple ou dans certains commerces. La capacité de protection des masques est inversement proportionnelle aux stocks qui la composent.

 

Changer la vérité n’est pas mentir

Toujours au mois de janvier Agnès Buzyn, affirme « il y aura des masques pour tout le monde en cas d’épidémie en France ». Un mois et demi plus tard propos contredits par son successeur « nous ne savons pas si nous en aurons suffisamment à terme », donc en fonction de la durée de l’épidémie plus question de distribuer des masques à tout le monde. Le 28 avril devant l’Assemblée nationale Édouard Philippe assume « la réquisition des masques pour les soignants ». Le Premier ministre s’appuie alors sur les scientifiques qui ont tenu des propos contradictoires sur l’utilité du masque. Seulement voilà les propos du Gouvernement ont tellement changé depuis, que leur crédibilité est sacrément mise en doute. Ils ont changé de « vérité », mais, selon eux, n’ont pas menti.

Autre contradiction, celle du président, qui en 10 jours est passé d’un extrême à l’autre, « aucune raison d’annuler nos habitudes de sorties » disait-il le 6 mars alors qu’il se rendait au théâtre, le 12 mars il annonçait la fermeture des écoles, et le 16 mars le confinement général, chacun s’en souvient.

 

Agnès Buzyn : commedia dell’arte

Le 24 janvier, Agnès Buzyn (décidément !) affirmait que les risques de propagation du virus « sont très faibles », propos rassurant, alors qu’en privé elle est inquiète. Comme l’écrit le journal Le Monde le 18 mars, elle dit avoir alerté le directeur de la santé fin décembre et Emmanuel Macron mi-janvier. Fin janvier elle dit au Premier ministre « qu’elle ne pense pas que les élections municipales puissent avoir lieu normalement », elle qui finalement se présentera aux élections municipales à Paris. Élections qu’elle qualifiera « de mascarade ». Quelle précision de langage ! Dans sa définition ce mot exprime « une manifestation festive au caractère satirique rassemblant des personnes masquées et déguisées » On se dit qu’il est bien dommage qu’Agnès Buzyn n’ait pas choisi d’être voyante plutôt que candidate à la mairie de Paris, elle aurait déjà ouvert son cabinet.

 

Blanquer : Au piquet pour Zoro de conduite

Le Ministre le plus contredit est sans conteste Jean-Michel Blanquer. Certains journalistes affirmant qu’« il faut écouter JMB pour savoir que c’est le contraire qui se produira ». Le 15 avril le ministre de l’Éducation nationale déclare que « le retour sera obligatoire pour l’ensemble des élèves », sauf que 8 jours après Emmanuel Macron annonce que le retour se fera sur la base du volontariat. Plus grave encore avant l’annonce du confinement début mars « en cas d’épidémie tout fermer n’aurait pas de sens », 10 jours plus tard le Président annonçait la fermeture des écoles et ensuite le confinement.

 

Les mousquetaires de la stratégie langagière : ethos, pathos, logos…

Les « chers concitoyens » que nous sommes doivent comprendre le point de vue de l’Exécutif avant même d’accepter ses arguments. Voilà en quoi consiste cette rhétorique dans laquelle le gouvernement veut que nous adoptions son point de vue.

Le pathos est la capacité qu’a par exemple Emmanuel Macron à tenter de créer des émotions et des sentiments auprès des Français. Son discours concernant les personnels des hôpitaux et tous les soldats de « la première ligne » face au virus, sa compassion face aux personnels de la grande distribution sont édifiants. La prime de 1 000 euros[6] annoncée ne sera pourtant pas le montant réellement reçu par les intéressés. La charité après le gazage et les LBD ? Autre exemple celui de « revoir les salaires des hospitaliers », de « redonner les moyens conséquents aux hôpitaux » en octroyant un « plan massif d’investissement et de revalorisation de l’ensemble des carrières ». Rhétorique du pathos assimilée à de la manipulation, les moyens se transformant en primes, et en propositions de faire défiler les soignants le 14 juillet et leur remettre une « médaille de l’engagement ».

L’ethos utilisé par les hommes politiques et le Président en particulier est particulièrement important pour mettre en valeur sa personnalité morale. Il ne suffit pas qu’il étaye un raisonnement logique pour rendre efficaces ses arguments. Le ton qu’il emploie, le style du message, son empathie sont des éléments pour essayer de nous impliquer activement dans l’écoute de son propos. Il utilise le registre de la persuasion autant que de la séduction afin d’emporter notre adhésion : « Nous sommes en guerre » « nous n’avons pas été aussi efficaces ». Bels exemples de rhétorique assimilés à de la manipulation !

Le logos participe aussi des artifices employés et fait appel à des raisonnements logiques. « Le virus nous a changés, moi aussi il m’a changé ». Le logos c’est le discours qui est utilisé pour traduire des arguments logiques. Dans les médias le Président et ses ministres utilisent des éléments de langage pour occuper le champ social, qui, répétés à l’infini ont valeur d’évidence.

Tous ces procédés, ces raisonnements que nous subissons à longueur de journée au travers des chaines d’infos en continu semblent porter en eux une certaine rigueur, voire une réalité, mais à bien y regarder « l’obligation d’être véridique à tout prix contraint à mentir quand la vérité elle-même est plus fallacieuse que le mensonge ».

Cette crise aura certainement mis en lumière toutes sortes d’hypothèses proférées par ce que je nommerai les « Pinocchio » de la politique. À défaut de ne pouvoir observer leur nez qui s’allonge sans cesse, nous ne sommes pas dupes de leurs astuces « d’évidence » pour imposer une autorité contestant la réalité. Ils n’hésiteront pas à troquer leur masque pour un nez rouge et revenir rapidement dans les médias pour tenir un discours consistant à dire : « on peut penser que… », « on peut imaginer que… » « Nous avons dû… ». Serait-ce de la manipulation ou de l’incompétence ? Les deux peut-être ? Restez confinés, on s’occupe de tout.

 

[1] Bernard Maris, Antimanuel d’économie, Ed. Bréal, 2003.

[2] Roland Barthes, Leçon inaugurale au Collège de France, Seuil, 1 977.

[3] Chaïm Perelman, L’Empire rhétorique, Vrin, 1997, p. 9.

[4] La première édition du Dictionnaire grec-français de Bailly paraît en 1 895

[5] Pierre Corneille

[6] Robert Guédiguian, Libération, 13 mai 2020, « Deux mois plus tard, ils rivalisent d’ingéniosité pour tenir leur parole sans la tenir tout en la tenant… Cela fera des débats obscènes sur les chaînes d’info pour abuser les citoyens… Donc pas de suppression des primes mais des primes au prorata du temps de travail, seulement aux permanents ou seulement aux plus exposés, transformées en bons d’achat… »

One thought on “Rhétorique ou langue de bois

  1. Édifiant et bien argumenté. Cela fait du bien de lire ce qui valide notre pensée et de façon claire et limpide. Belle rhétorique, un vrai bonheur, un bijou. Bravo Joshen et merci

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