[EDITO] Coronavirus et écologie
Canards sur les boulevards, cerfs sur les grandes artères, dauphins dans les estuaires italiens, sans oublier sangliers dans le centre barcelonais… Avec le confinement, c’est la faune qui semble soudain reprendre ses droits sur le bitume morne et triste. Pollutions, rejets de CO2 et consommations d’énergies sont également en baisse. Pour beaucoup le constat est alors simplissime : « Nous sommes le virus ».
Les espoirs fleurissent aussi. Espoirs d’une meilleure consommation, d’une solidarité plus vivace, d’une écologie forte et sincère. Espoirs que nos sociétés aient compris certains problèmes, aient perçu des erreurs, se soient éveillées. Espoirs, en somme, d’une prise de conscience collective et d’un changement global à venir. Espoirs qui seront, je le crains, rapidement déçus et enfouis.
Car la suite des événements risque d’être catastrophique. Et l’analyse des événements actuels dressée par les diverses tendances écologistes est, la plupart du temps, problématique.
Revenons d’abord à cette fameuse expression qui envahit rapidement les réseaux sociaux : « Nous sommes le virus ». Derrière cette phrase, la responsabilité de la catastrophe climatique que nous vivons est rejetée, dans les mêmes proportions, sur toutes et tous. À tort.
Les discours que l’on entend et qui pullulent, où des « collapsologues » se vantent d’avoir eu raison et présentent les solutions qu’ils ont mis en place chez eux ; où l’on met en avant les bienfaits du confinement pour la planète ; où l’on promeut soudainement le « consommer local » ; tous ces discours débordent et suppurent d’hypocrisie.
Tous ces discours, tous ces bons conseils dispensés, tous ses appels à consommer mieux et à prendre conscience de son propre impact ne sont là que les émanations d’un pseudo-écologisme bourgeois. Car pendant que certains fantasment une catastrophe à venir et se forment à l’affronter, construisent bunkers ou achètent grandes propriétés où vivre en autarcie et en autosuffisance, pendant que ces personnes sont au bord de la jouissance en pensant à la survie, une grande majorité lutte d’ores et déjà pour sa vie et contre une catastrophe réelle, présente. Une catastrophe trop peu spectaculaire pour qu’on en parle. Une catastrophe qui porte plusieurs noms ; arrêtons-nous sur celui de pauvreté.
Car ce que ces analyses ne présentent – pour la plupart – pas, c’est que le confinement ne touche pas tout le monde. Alors qu’on nous présente une romantisation abusive de cet instant, où certains peuvent pavoiser dans leurs grandes propriétés, où les plus aisés se plaisent à redécouvrir les plaisirs de la lecture ; alors qu’on tâche de nous faire rêver, les plus précaires sont encore au travail. Par moments, on leur tolère alors le statut de héros, un statut qui disparaîtra encore plus vite qu’il est venu. C’est aussi que le problème écologique vient d’abord des grands producteurs, avant de venir des consommateurs. Il est facile de rejeter la faute sur ceux qui se nourrissent à la grande distribution, mais ont-ils les moyens de faire autrement ? Il est bien vu de critiquer les agriculteurs indépendants qui utilisent encore des pesticides et produits chimiques, mais ont-ils les moyens de se mettre à une production plus respectueuse de l’environnement ? Non. Non, ils ne l’ont pas.
Pour autant, on continue de rejeter la faute sur ces personnes, directement ou indirectement. La taxe sur le diesel, à l’origine du soulèvement des Gilets Jaunes, est un exemple parmi tant d’autres de ce rejet de la responsabilité sur l’individu.
Le problème écologique est né avec le capitalisme. Il est entretenu par ceux qui se nomment les progressistes, les libéraux, et j’en passe. Il ne peut être résolu qu’en changeant radicalement de paradigme. Car toutes les actions entreprises individuellement, aussi louables soient-elles, ne pèsent rien face aux ravages de plus en plus destructeurs du capital.
Penser que le confinement a un impact positif est une terrible erreur, un biais, qui sera rapidement effacé par les effets dévastateurs que celui-ci va avoir d’ici peu sur l’environnement. Est-ce que cela veut donc dire que nous sommes le problème ? Non. Les effets positifs observés sont dus à l’arrêt de la structure capitaliste. Les dégâts à venir seront la conséquence de la remise en marche de cette structure, et de l’offensive violente qu’elle va lancer.
Nous avons déjà un exemple d’une telle situation. À la fin de la crise des subprimes de 2008, les mêmes espoirs d’une prise de conscience collective s’étaient manifestés. Des espoirs déçus, bien entendu. Les quelques aspects positifs que cette crise avait pu avoir sur l’environnement ont été balayés en un rien de temps par une reprise d’activités extrême. La crise passée, les capitalistes et financiers ont repris leurs habitudes, ce qui a mené en grande partie à la situation que nous vivons aujourd’hui.
Cette pandémie de coronavirus s’inscrit en effet dans une liste qui se fait de plus en plus longue. Une liste qui n’a pas fini de croître. Car oui, d’autres pandémies sont à prévoir dans les prochaines années. Les travaux de biologistes, parmi lesquels nous pouvons citer Serge Moran et son livre La prochaine peste, montrent bien les problèmes d’une mondialisation non-contrôlée. L’élevage industriel a ainsi des conséquences directes sur l’apparition et la transmission aux hommes de nouvelles maladies.
Des solutions existent. Il est très peu probable qu’elles soient mises en place. Tant que les intérêts de ceux au pouvoir ne rejoindront pas nos intérêts, c’est même impossible. Le changement de paradigme nécessaire pour notre société est encore lointain. Le capitalisme se défend et se défendra toujours, utilisant diverses forces, de Macron à Le Pen. Il ne se gêne pas non plus pour présenter des mesures libérales déguisées sous le manteau rouge du social, à commencer par le revenu universel promu par Hamon et qui ne peut que renforcer le pouvoir du capital.
En attendant, il nous faut être vigilants, céder le moins possible. Il nous faut comprendre que l’écologie n’est pas une affaire de spectacle, de câlins aux arbres. Il nous faut comprendre que les petits gestes que l’on fait pour se donner bonne conscience ne changeront rien au problème global que nous vivons. Il nous faut comprendre d’où vient le problème. Et s’organiser. S’organiser pour imaginer et mettre en place des solutions de nous-mêmes, car jamais elles ne viendront d’ailleurs.