Faut-il une législation européenne pour interdire les « loot boxes » ?

Ce terme ne vous dit peut-être pas grand-chose pourtant il est au cœur du débat entre certains pays européens et certains éditeurs de jeux vidéo. Un loot boxes fonctionne de la façon suivante : le joueur achète soit sous forme de monnaie virtuelle, soit directement avec de l’argent réel, une boîte contenant des éléments du jeu, sans savoir ce qu’elle contient.

Le 1er février, deux avocats parisiens ont porté plainte contre X auprès du procureur de la République de Bobigny (Seine-Saint-Denis) et celui de Créteil (Val-de-Marne) pour mettre en lumière les risques liés au jeu de simulation de football FIFA 20, édité par l’éditeur nord-américain, Electronic Arts.

En quoi cela pose-t-il un problème ?

L’Etat belge a été le premier à interdire cette pratique le 26 avril 2018 après une enquête de cinq mois sur quatre jeux utilisant ce système : Overwatch, Star Wars Battlefront 2, Fifa 18 et Counter Strike : Global Offensive (pour rappel la finale mondiale ce dernier jeu aura lieu pendant l’Occitanie eSports).

La conclusion de la commission des jeux de hasard est sans équivoque : « La commission de jeux de hasard arrive à la conclusion que les loot boxes payants sont des jeux de hasard. Si ceux-ci continuent à être exploités, une approche pénale est envisagée. Parce que le phénomène est plus large que les quatre jeux analysés, la Commission des jeux de hasard fait un certain nombre de recommandations à l’attention des décideurs, des fabricants de jeux, des plateformes de jeux ainsi que des organismes qui octroient des licences comme la FIFA. »

À la suite de cette décision les éditeurs ont dû retirer de leurs jeux, l’accès à ces loot boxes payants. Cela s’est traduit par exemple pour le jeu Fifa édité par Electronic Arts par le retrait de l’achat de points Fifa servant à ouvrir ces éléments de jeu pour les gamers belges.

Quelle est la position des autres pays européens ?

Les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suède et la France se penchent sur la question. Concernant la France et plus précisément l’ARJEL qui est l’autorité de régulation des jeux en ligne, ce qui bloque c’est la question du gain. Dans un loot box, les éléments récupérés ne peuvent pas être revendus et ne servent au joueur qu’à améliorer son expérience de jeu. Son avis diffère donc de son homologue belge.

Un groupe de travail « jeu vidéo » regroupant les grands représentants du secteur (syndicats), des studios de jeux vidéo (Ubisoft) ainsi que des administrations (le centre national du cinéma et de l’image animée) et ou bien encore la direction générale des entreprises et la direction générale des médias et des industries culturelles vont se réunir pour tenter d’apporter une réponse claire du gouvernement français sur cette délicate question : faut-il interdire en France l’utilisation des loot boxes payants et surtout protéger les joueurs mineurs ?

En Allemagne, le gouvernement s’inquiète sur les conséquences que cette pratique peut avoir également sur les mineurs et une étude a été réalisée par l’université de Hambourg.

En Suède, le gouvernement souhaite modifier dès cette année la loi sur les jeux d’argent alors même qu’il n’existait jusqu’alors aucune régulation.

Aux Pays-Bas, la Netherlands Gaming Autority, après avoir mené une enquête sur dix jeux, a constaté que quatre d’entre eux, sans les nommer ne respectaient pas la loi. Ainsi cette autorité s’exprimait en ces termes : « Sur les dix jeux proposant des loot boxes examinés, quatre violent la loi néerlandaise, car l’aléatoire détermine le contenu des loot boxes. De plus, les trésors récoltés peuvent être échangés en dehors du jeu : ils possèdent donc une valeur marchande. Il est interdit de distribuer des jeux de hasard aux joueurs néerlandais sans posséder une licence ».

Il est clairement établi que cette difficile question de l’autorisation ou non de l’utilisation des loot boxes payants en Europe divisent les pays tant dans la manière de les utiliser (quels jeux sont concernés ?), mais également vers quel public les autoriser ou non et comment le vérifier (le cas des mineurs en Allemagne et en France).

Quelles seraient les conséquences d’une interdiction européenne d’utilisation des loot boxes payants pour les éditeurs de jeux vidéo ?

Il est évident que la première conséquence serait économique. Electronic Arts avec sa licence Fifa exploite de manière intensive ses loot boxes payants, générant pour l’éditeur des sommes gigantesques de revenus. Par exemple en 2017, le groupe Activision-Blizzard (Overwatch) a récolté 3,6 milliards de dollars par le biais de ce commerce.

La seconde conséquence d’une loi commune obligerait l’ajustement d’un titre en fonction de la position géographique du gamer. À l’heure de la mondialisation et du jeu en ligne, un titre proposant des loot boxes au Brésil et les interdisant en Europe, engendrerait des coûts de production et de fabrication de jeux différents.

Enfin, la dernière conséquence serait une amélioration de l’image de marque désastreuse des éditeurs qui utilisent ces procédés que représentent ces loot boxes auprès des consommateurs. Une loi communautaire allant à l’encontre des éditeurs diminuerait ce sentiment qu’ont certains joueurs que les éditeurs les prennent pour des « pigeons », pour utiliser une expression bien française. D’ailleurs le scandale des loot boxes qui existent depuis des années, s’est amplifiée lors de la sortie du jeu Star Wars Battlefront 2 où seuls les plus « riches » pouvaient s’offrir des équipements leur permettant de bénéficier d’un avantage compétitif dans ce jeu en ligne.

Certains éditeurs comme Ubisoft, tiennent à souligner dans leur communication lors de la sortie d’un jeu qu’il n’utilise pas ce système.

Quelles seraient les conséquences pour les joueurs européens d’une interdiction de loot boxes face à des gamers mondiaux pour lesquels l’accès est autorisé ?

C’est évidemment un paradoxe. Si une législation européenne existe et tente de protéger le consommateur de toutes dérives et surtout les mineurs, les gamers européens, à l’heure où le monde de l’eSport explose, les rendraient moins compétitifs que les autres gamers. Prenons l’exemple de Fifa, qui est le jeu le plus vendu actuellement dans le monde. Il est difficile d’imaginer qu’un joueur européen dans le mode Fifa Ultimate Team qui utilise ces loot boxes et qui permet de créer l’équipe la plus forte possible, puisse concurrencer sans l’aide de ces boîtes un gamer d’Arabie Saoudite par exemple (un des meilleurs joueurs Fifa vient de ce pays).

Le jeu en ligne serait alors complètement faussé et la donne bouleversée -alors qu’à l’heure actuelle les européens dominent ce jeu-. L’équipe de France eSport de Football vient en effet, d’être sacrée championne du monde sur le jeu Fifa 19.

D’autres pays, hors Europe, s’inquiètent des dérives de l’utilisation des loot boxes et notamment l’un des plus puissants au monde : les Etats-Unis.

Un projet de loi pourrait voir le jour aux U.S.A. interdisant la vente des loot boxes et les jeux pay-to-win (paye pour gagner) dans l’intérêt de la protection des mineurs.

Une interdiction de l’utilisation de ces boîtes payantes dans un pays tels que les Etats-Unis, pourrait-il faire réfléchir les pays européens ?

Existe-t-il des solutions autres pour continuer à jouer aux jeux mais sans débourser d’argent ?

Il en existe au moins une qui aurait un avantage tant pour les éditeurs et pour les gamers. Ce n’est pas que l’utilisation des loot boxes soit une mauvaise idée, elle confère même une certaine excitation chez le joueur qui attend avec impatience l’ouverture de ces boîtes. Ce qui est réprimandable, c’est la monétisation.

Alors remettons cette monétisation virtuelle dans le jeu lui-même. Un joueur qui jouerait longtemps à un jeu, pourrait se voir attribuer des points de fidélité qu’il pourrait échanger contre l’ouverture de ces loot boxes. L’avantage pour le joueur, serait la gratuité complète et l’avantage pour l’éditeur serait une durée de vie beaucoup plus longue qu’elle ne l’est actuellement. Cela ne remplacera pas les milliards de dollars engendrés par la vente des loot boxes mais permettrait de proposer moins de titres qui souvent ont une durée de vie de quelques mois (par exemple concernant Electronic Arts, Star Wars Battlefront 2 et Anthem).

En outre, les éditeurs pourraient consacrer plus de temps à élaborer des titres complets comme par exemple l’éditeur Rockstar qui édite très peu de jeux mais qui sont souvent des références dans le monde vidéoludique (GTA V ou Red Dead Redemption 2).

Alors quel est l’avenir de ce système de monétisation ?

Tout dépend donc de la décision des différents pays et des plus puissants. Une décision des Etats-Unis conjuguée à une décision législative européenne aurait un poids considérable sur l’avenir des loot boxes.

À l’heure, où le parlement européen a changé de visage, ce débat se retrouvera peut-être au sein de l’échiquier politique. Mais qu’en est-il des lobbyistes européens qui gravitent autour de l’Institution et qui pourraient faire pencher la balance d’un côté ou d’un autre.

Ces questions fondamentales trouveront peut-être une réponse dans les prochains mois dans l’Union européenne. Dans tous les cas, le sujet est délicat et divise l’ensemble des parties prenantes du monde du jeu vidéo.

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