Le département du Gard fait son “Grenelle” contre les violences conjugales jusqu’au 25 novembre
Cent-vingt-cinq ! C’est le décompte macabre à ce jour de femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint depuis le premier janvier 2019. Le département du Gard n’est pas épargné, loin de là puisqu’il déplore à ce jour, deux femmes victimes de leurs conjoints, soit un peu plus que la moyenne nationale.
Face à ce constat accablant, et malgré un arsenal législatif relativement étoffé, le nombre de femmes assassinées ne diminue pas et continue même à augmenter.
Mais, ces meurtres ne sont sont la partie émergée de l’iceberg. Les chiffres sont terrifiants, une femme sur dix aurait déjà été victime de violences psychologiques ou physiques par celui qui partage ou partageait sa vie.
Afin de comprendre et de tenter d’endiguer le phénomène, Marlène Schiappa, secrétaire d’Etat à l’égalité femme homme et lutte contre les discriminations organise un Grenelle sur les violences conjugales depuis le mois de septembre et jusqu’au 25 novembre, date de la journée pour l’éradication des violences faites aux Femmes. Dans chaque département, la question est prise très au sérieux et le Gard n’est pas en reste, puisque huit rencontres sont organisées par Madame Joëlle Gras, sous-préfète du Vigan, et référente départementale de la lutte les violences faites aux Femmes et Madame Isabelle Fardoux-Jouve, Conseillère départementale et déléguée à la lutte contre les discriminations, pour l’égalité et la laïcité. Outre le Grenelle, ces rencontres font partie d’une thématique plus généraliste que le département a mis en place depuis 2014 en matière d’égalité femmes/hommes dans le Gard.
Le 28 octobre, aux archives départementales se tenait la cinquième réunion sur le thème de la dimension éducative dans les violences conjugales. En effet, les enfants sont les victimes collatérales des violences conjugales.
En présence des forces de l’ordre, de juges des enfants, de membres de l’éducation nationale et des associations, la réunion avait pour objectif de poser le constat de la réalité sur le terrain, des moyens d’ores et déjà mis en actions et remonter des idées afin de combattre cet état de fait.
Une mise en perspective sur les violences conjugales afin de dresser le tableau et d’entrer plus en avant dans le sujet.
On estime que chaque année 220 000 femmes déclarent subir des violences intrafamiliales, ce qui signifie en creux, que le nombre est largement minoré par le nombre de femmes ne pouvant ou n’ayant pas voulu pas voulu signaler.
L’année 2019, a vu le nombre d’appel augmenter, dans le Gard, 1 000 faits ont été enregistrés par les forces de l’ordre, c’est 8,7 fois plus qu’en 2017 le phénomène #meeToo a eu tendance à libérer la parole des femmes. Elles hésitent un peu moins à venir témoigner de ce qui se passe à l’intérieur du couple.
D’un point de vue sociologique, les femmes les plus vulnérables sont des femmes avec de faibles revenus, étrangères, de faibles niveaux d’études ou bien encore en situation de handicap.
Les moments de vulnérabilité. Les violences conjugales se concentrent surtout à trois périodes de la vie de couple, durant la ou les grossesses des femmes, la séparation et la post séparation (ce moment où la femme reprend véritablement son indépendance).
Les addictions (drogue et alcool) ont un effet aggravant sur les violences conjugales.
Après ces rappels généraux sur les violences conjugales faites aux femmes, le volet éducatif a été abordé.
Pourquoi aborder les violences conjugales sous l’angle des enfants et surtout la dimension éducative ?
D’abord parce que 143 000 enfants sont témoins et victimes de ces violences conjugales. Que sur les 142 victimes de meurtres conjugaux 21 enfants ont été tués par le conjoint de leur mère.
Ensuite, il est reconnu que les enfants victimes vont avoir de nombreux impacts psychologiques qui perdureront tout au long de leur vie.
Car par phénomène de mimétisme, ils reproduiront le schéma des violences dont ils ont été victimes, témoins quand ils deviennent adultes : un risque réel que les victimes deviennent auteurs.
Il est donc nécessaire d’apporter de la prévention dès le plus jeune âge dans le périscolaire et à l’école.
C’est pour toutes ces raisons qu’Isabelle Fardoux-Jouve explique l’importance de se pencher sur cette thématique : « Lors d’un colloque on a mis en évidence que la part de l’éducation et de la construction par l’éducation de la domination masculine mène à cette violence. On voit que les violences ont souvent lieu lors des grossesses et des séparations, car l’agresseur sent échapper « sa chose », et là c’est une construction sociale […] Aucun animal ne tue ces femelles, il n’y a que l’humain, c’est donc bien culturel que de s’approprier et de détruire ce qui nous échappe. Depuis la question de l’éducation m’est apparue comme essentielle pour déconstruire ce monde genré et cette domination masculine qui est purement sociale et que l’on peut combattre par l’éducation et la culture. »
Et Madame la sous-préfète de rajouter que : « Il y a des réelles avancées mais il reste des racines sociales historiques et qui sont profondes. La société joue un rôle dans l’émergence et la perpétuation des violences conjugales ». Et que c’est par l’enfant, donc cette nouvelle génération que l’on peut déconstruire la domination masculine.
Des comportements difficiles à faire voler en éclats
Ainsi certains phénomènes perdurent. Il a été prouvé par exemple que dans les cours de récréation, les garçons prenaient le centre de la cour alors que les filles se mettaient en périphérie, comme si l’espace public était réservé à l’«homme » et la périphérie pour « la femme ». Au collège, ce sont les filles qui sont les plus sujettes aux harcèlements que ce soit en IRL que sur les réseaux sociaux. Les garçons n’hésitant pas par exemple à faire dès leur plus jeune âge du reveng porn, (en français lancer sur les réseaux sociaux la photo de leur ex-petite amie dénudée).
Au lycée, ce sont les filières dites scientifiques qui ont été pointées du doigt. En effet, ces filières avaient un taux de représentation chez les 1res et terminales de l’ordre de 2/3, 1/3 pour les filles… Le nouveau bac aurait remis à plat cette forme de discrimination.
Enfin, et comme l’a souligné la juge des enfants qui était présente lors de ce colloque, l’extreme facilité de l’accès à la pornographie sur internet sur des sites totalement gratuits et hors de contrôles est un facteur préoccupant. Ces sites, « connus par tous les gamins de douze ans » véhiculent des clichés sexistes, alliant performance pour le garçon et violence envers la femme. Ce phénomène entraîne d’ailleurs, chez le jeune en construction à la fois un sentiment biaisé de l’amour et de la sexualité, tout en lui faisant craindre quant à sa propre performance.
Une fois ces comportements genrés mis en place par des siècles de conditionnements, dans beaucoup de familles tout se passe bien mais chez l’enfant victime, il n’en est rien. D’où l’intérêt pur les pouvoirs publics de rompre avec ce système patriarcal.
Les moyens mis en œuvre dans le Gard afin de déconstruire les comportements sexistes et genrés chez les plus jeunes.
Les acteurs qu’ils soient institutionnels, tels que les forces de l’ordre, l’éducation nationale, les magistrats et notamment les juges pour enfants, ainsi que l’aide sociale à l’enfance mais aussi les associations nombreuses ont montré leurs boites à outils afin de déconstruire les idées stéréotypées et genrées.
Ainsi sans en faire un catalogue, on a pu noter ce qui a été appelé l’approche intégrée.
C’est à Beaucaire, que cette idée a germé en la personne Driss Immes, éducateur sportif. Il y a 4 ans, il a décidé d’intégrer des filles au sein de l’équipe de football dans un quartier dit sensible. Si au début, les parents n’étaient pas forcément pour, quelques années après le début de cette expérience, l’association sportive comptent 120 filles. Il rajoute que : « les enfants eux « sont des éponges, les préjugés sont gommés si on leur dit qu’il y a égalité fille garçon ». Un bel exemple.
Mais ce qui est peut être la clé de voûte de la déconstruction patriarcale, se trouve paradoxalement dans la toute petite enfance. Ainsi les crèches de Nîmes, ont été formées à laisser jouer des filles avec des tracteurs, petites voitures et les garçons avec des poupées, des dînettes, des aspirateurs et autres balais. Si toute la chaîne de l’éducation (même s’il arrive aux éducateurs de devoirs se battre contre les préjugés des parents), suit cette déconstruction, la domination masculine devrait amorcer une décrue.
Le grenelle est aussi un moyen via la sous-préfète de faire remonter les idées et de les centraliser.
Tous les intervenants ont rapporté que le nerf de la guerre restait l’argent et demandaient donc des moyens supplémentaires.
Les violences conjugales étant un sujet mulfactoriel, à ce jour, il reste trois rencontres, avant la fin de ce grenelle dans le Gard.
14 novembre 2019 à 15h : Réunion sur le thème judiciaire en présence d’Eric Maurel, procureur près du Tribunal de Grande Instance de Nîmes et d’un juge aux affaires familiales.
15 novembre 2019 à 10h : Réunion sur le thème de l’hébergement
16 novembre 2019 à 14h : Réunion sur le thème de la coordination des acteurs
De son côté, Marlène Schappia, a d’ores et déjà proposé des pistes.
Reste que sans moyens affectés, ces initiatives risquent de rester lettres mortes. Ce serait dommageable à la fois pour les victimes et pour la génération à venir. À Suivre.