La bande dessinée « Une partie de boules » : Une ode à la pétanque
Marcel Pagnol était un homme qui savait aussi bien manier les mots que les images. Les nombreux romans qu’il a écrit dans sa vie ont laissé une trace dans le patrimoine français et ont fait découvrir au monde entier sa chère Provence. La cinématographie alors en pleine expansion va lui permettre de mettre des images sur les histoires qu’il racontait. Comment ne pas se souvenir de la trilogie marseillaise Marius – Fanny – César porté sur grand écran avec l’immense acteur Raimu. Cet homme génie, touche-à-tout, n’aurait certainement pas renier le neuvième art qui, d’une façon différente, permet aux lecteurs de s’immerger dans ses histoires en lui associant des images.
Les éditions Grand Angle rendent hommage à l’enfant d’Aubagne en éditant l’intégralité de ses romans, récits et nouvelles dans une collection en bandes dessinées.
« Une partie de boules » est justement une nouvelle, tirée d’un de ses deux romans autobiographiques « Le temps des amours », mémorable que disputa son père.
Pourquoi cette partie de boules est-elle aux yeux du jeune Pagnol, un souvenir impérissable ?
Il faut déjà comprendre que le sport que représente la pétanque, comme on le nomme aujourd’hui, est indissociable du midi. Les parties à l’ombre sous les oliviers ou les platanes-mûriers, avec un rafraîchissement à portée de main, est un incontournable pour tous voyageurs descendant en dessous de la Loire.
Ici, dans le Sud de la France, c’est une Institution. Un coin de rassemblement entre anciennes et nouvelles générations. Entre amis également, venant discuter des dernières nouvelles du village. Chaque village peut s’enorgueillir de posséder son club de pétanque avec ses tournois aux règles bien définies.
Cela n’était pas différent lorsque Marcel Pagnol était enfant. À la différence que la fierté du village pouvait être menacée par des « étrangers » venus d’un village voisin ou d’une région voisine remporter le trophée du vainqueur. Honneur aux vainqueurs et parfois déshonneur aux vaincus.
Que raconte cette nouvelle ?
Marcel Pagnol enfant, passe des vacances avec ses parents et son oncle Jules dans les monts de la Provence. Son oncle ayant fait l’acquisition d’un chien de chasse, les deux beaux-frères, n’ont pas besoin du petit Marcel pour lever les lièvres et autres oiseaux. Ainsi il va pouvoir passer plus de temps avec son ami Lili et le braconnier du village Mond des Parpallouns.
Un jour, le maire du village, vient prendre l’apéritif avec la famille et le braconnier et annonce qu’une partie de boules est organisée comme chaque année sur la grande place du village. Malheureusement chaque année, c’est le terrifiant et excellent tireur Pessuguet, le facteur d’Allauch et son équipe qui remportent le tournoi.
Que nenni ! Le père de Marcel, son oncle Jules et Mond des Parpallouns ne vont pas laisser gagner, une fois encore, ces arrogants allochtones, qui se surnomment la triplette internationale des Bouches-du-Rhône.
Les trois compères s’inscrivent donc pour le tournoi et s’entraînent durement pour atteindre la finale et mettre fin à l’hégémonie de cette fameuse bande.
Arrive le jour du tournoi et Pessuguet lors de la première partie met « Fanny » les trois paysans de Ruissatel.
Mettre Fanny cela signifie quoi ?
Tout simplement que l’adversaire a perdu la partie sans empocher le moindre point. Une défaite 13 à 0 qui oblige le perdant selon une tradition ancestrale remontant au moins au dix-neuvième siècle d’embrasser la représentation d’un cul de femme nommée Fanny. Celle-ci, était souvent représentée par un tableau, et les perdants s’agenouillaient devant en l’embrassant à l’endroit où la partie du postérieur dénudé de la femme était représentée.
C’était une récompense à la fois pour les vainqueurs et une humiliation pour les vaincus. L’image effrayante de la défaite, l’humiliation totale : perdre 13 à 0.
Aujourd’hui tous les clubs de pétanque ont une représentation de Fanny au sein de leur association mais cette tradition s’est perdue. Elle peut néanmoins apparaître lors d’un pari. Elle a d’ailleurs été exportée vers d’autres jeux, comme le baby-foot où une fois de plus perdre sans marquer un seul but peut entraîner ladite humiliation.
Marcel Pagnol a donc été marqué par cette scène et la peur que son père qu’il chérit subisse le même sort, l’effroi.
La suite de l’histoire pour la connaître, il faut lire cette bande dessinée, aux dessins où les couleurs vives rappellent la Provence et sentent l’été, l’humour est présent malgré l’enjeu de l’histoire et dans lequel le suspens montre crescendo.
Un bel hommage à l’univers de la pétanque, des tournois où l’enjeu de la gagne est toujours présent, et une belle histoire également sur un temps jadis où la fierté de son village était aussi importante que sa propre personne.
La bande dessinée « Une partie de boules » est disponible aux éditions Grand Angle et comprend 48 pages avec une interview des auteurs Serge Scotto et Éric Stoffel. À découvrir pour les amoureux de la Provence et ses traditions.